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TED FENDT | Interview

Alors que sort le Bruit du dehors, son deuxième long-métrage, le réalisateur américain Ted Fendt s’est confié au Bleu du Miroir sur son rapport hasardeux et presque inconscient au cinéma et sur sa vision de l’amitié à l’écran.

Par certains aspects, le naturalisme du Bruit du dehors et de votre travail en général le rapproche presque du documentaire : les actrices portent par exemple leurs vrais prénoms à l’écran. Est-ce que cette frontière entre réalité et fiction vous intéresse ?

Je pense que la frontière entre la fiction et le documentaire m’intéresse en général au cinéma, surtout quand il s’agit de personnages. J’aime l’idée qu’il y a des allers-retours entre un personnage fictionnel et un personnage réel, qu’on se demande où est la frontière. Dans le film, tout est mélangé. C’est une sorte de réflexion sur ce que je faisais à l’époque, à la fin de la vingtaine. Il y avait des fois avec des vraies conversations derrière les scènes : quelque chose est arrivé à Mia et on l’a transposé au personnage de Daniella, d’autres choses sont complètement inventées. On avait des listes de sujets à aborder et elles devaient trouver des paroles sur le moment. C’était beaucoup de hasards, car j’essaye d’être ouvert à ce genre de hasards, aux interprétations et aux associations qui pourraient surgir au détour des conversations. Mais le film reste fictionnel, tout est construit, il y a une structure qui est là depuis le départ.

Vous faites une brève apparition à l’écran. Quel rôle jouez-vous dans ce film à mi-chemin entre la fiction et le documentaire ? Êtes-vous vous même ou une version fictionnelle de votre personnalité ?

A la base, c’était l’idée de Mia que j’apparaisse à l’écran. Je voulais incarner le genre de type qu’on rencontre toujours dans les fêtes, qui est un peu gênant et qui parle trop et que je connais bien parce que j’ai parfois été cette personne… Mais c’était compliqué, car il fallait trouver des gens, un endroit. On n’avait pas trouvé mieux que moi pour le rôle, donc je l’ai tenu !

Je pense qu’avec ce film, je cherchais à raconter une histoire qui exprime quelque chose que moi je ne pouvais pas articuler à ce moment là de ma vie. Avec la distance de ces quelques années, j’arrive à voir ce qui s’est passé, et à reconnaître des aspects autobiographiques dans les personnages et dans ce qui se passe, mais un peu comme dans tous mes films. Par exemple, Short stay réfléchit aussi à un moment de ma vie juste après mes études, tandis que les personnages principaux de Classical period personnifient un peu deux parties de ma personnalité : le héros masculin représente mon attrait pour la littérature, au point d’en être presque anti-social, tandis j’ai mis beaucoup d’extraits de mes journaux dans le texte de l’héroïne féminine, avec mes doutes sur la vie, mes réflexions ce que ça veut dire de lire ou d’écrire.

Dans Le Bruit du dehors, ce que dit Mia au début en voix off vient aussi de mes journaux de New York. La voix off de la deuxième moitié vient d’un mail que Daniella m’a écrit et dont on a fictionnalisé les mots -mais évidemment j’étais attiré par ce qu’elle exprimait parce que ses paroles me disaient quelque chose de mes propres expériences.

Le bruit du dehors
A la différence de vos œuvres précédentes, Le Bruit du dehors se situe en Europe, entre Vienne et Berlin.

Il y avait des choses dans ces villes qui m’intéressaient. Je suis venu en Autriche parce que je faisais des sous-titres pour des films suisses et que je voulais aussi échapper à ma vie à New-York qui devenait de plus en plus fatigante. Je traversais une période assez difficile, je me sentais comme une sorcière dans la ville. Une fois en Europe, j’ai découvert un autre monde. J’ai rencontré beaucoup de gens qui sont devenus des amis. Puis, quand j’ai eu envie de faire ce film, j’ai décidé que je devais passer du temps en Allemagne également et j’ai saisi un prétexte pour y aller et pour m’immerger dans la langue. Je cherchais déjà des idées de scènes.

Ma manière de travailler a évolué aussi avec ce film, c’était davantage collaboratif, les actrices s’exprimaient très clairement sur l’écriture du scénario. Elles sont différentes des autres personnes avec qui j’ai tourné, pas seulement parce qu’elles sont des femmes mais aussi parce que ce sont des personnes avec un parcours plus artistique

C’est aussi la première fois que vous filmez presque exclusivement des personnages féminins.

Il y a deux choses qui m’ont fait aller vers des femmes : d’abord, le fait d’avoir fait la connaissance de Mia et Daniela et d’avoir pensé que je pourrais faire un film avec elles, indépendamment l’une de l’autre. Quelque chose m’a frappé dans leur personnalité, je pense que je me suis identifié à elles et à quelque chose qu’elles ont dit. Daniela parlait de ses insomnies à un moment où j’en faisais. Mia, de faire un master sur un coup de tête, avec une spontanéité qui m’a marquée et qui, je pense, me fait défaut. A partir de ça, on s’est dit que ça serait bien de faire un film, mais on n’avait pas envie de montrer des rapports féminins-masculins, des histoires d’amour, parce que c’est déjà trop fait, ça nous paraissait ennuyeux, on voulait échapper à ce genre de récit.

Les femmes à l’écran reflètent aussi le fait qu’en Autriche et en Allemagne, j’ai plutôt rencontré des filles que des garçons, parce que je me sentais plus à l’aise avec elles. C’était au final une décision assez intuitive, je n’y ai pas tellement réfléchi. Ma manière de travailler a évolué aussi avec ce film, c’était davantage collaboratif, les actrices s’exprimaient très clairement sur l’écriture du scénario. Elles sont différentes des autres personnes avec qui j’ai tourné, pas seulement parce qu’elles sont des femmes mais aussi parce que ce sont des personnes avec un parcours plus artistique, ce qui nourrissait leur travail. Elles pouvaient me faire des feedbacksbeaucoup plus élaborés, ça me poussait en avant et j’en avais besoin.

Ce que j’aime bien chez Rohmer, c’est qu’après avoir passé dix ans de sa vie à tourner en 35mm, voire vingt ans, il a fait quelque chose que personne d’autre n’a fait : revenir au format amateur, le 16mm, mon format de préférence, et tourner avec un grain énorme que je trouve très beau

Vos films mettent en avant une classe sociale bien spécifique : éduquée, littéraire, très portée sur les conversations philosophiques. Ça n’est évidemment pas sans rappeler le cinéma d’Eric Rohmer. Est-ce que c’est une référence que vous aviez en tête ?

C’est certainement une référence constante, mais je n’essaye pas de faire du copier-coller. J’ai découvert son cinéma en France, car j’étais à Paris au moment de sa mort et il y a avait beaucoup de rétrospectives de son travail. J’ai donc eu beaucoup d’occasions de me plonger dans son univers. J’ai un très bon souvenir des premières fois où j’ai vu ses films, avec une lumière et des couleurs formidables. Ses personnages sont passionnants, il a une manière de filmer très simple et directe, avec cet aller retour entre fiction et documentaire justement. Ce que j’aime bien chez Rohmer, c’est qu’après avoir passé dix ans de sa vie à tourner en 35mm, voire vingt ans, il a fait quelque chose que personne d’autre n’a fait : revenir au format amateur, le 16mm, mon format de préférence, et tourner avec un grain énorme que je trouve très beau. Je dirai que chez Rohmer il y a des dialogues plus littéraires que chez moi, car il écrit ses dialogues lui-même. Je pense que je ne pourrais pas faire ça. Je préfère simplement m’en inspirer et puiser mes forces dans ses films.

Le Bruit du dehors parle beaucoup de transition -les personnages sont entre deux endroits, deux boulots, deux moments de leurs vies…

Le film reflète ce sentiment que l’on peut avoir quand on se sent mal à l’aise là où on habite, mais qu’on ne peut pas encore l’articuler ni à soi ni aux autres. C’était réfléchi pour moi dans mes basculements de lumières, du sombre vers le plus lumineux et vice versa, à l’image de leurs sentiments.

Je pense aussi que c’est difficile de faire des films sur l’amitié : on fait beaucoup de films sur les rapports hommes-femmes, ce qu’on voulait éviter, ou tout simplement des films où il y a des tensions fortes entre les individus

Derrière les images très lumineuses du film, cette transition semble assez douloureuse.

D’une certaine façon, oui, cette période de transition a été douloureuse pour moi. La mélancolie du film vient beaucoup de ma vie et de mon expérience, mais aussi beaucoup des actrices, puisqu’elles proposaient aussi beaucoup de sujets et d’idées. Je pense que j’ai retenu celles qui allaient dans le sens de ce mal être -le poème de Bachmann, par exemple, est très sombre et très triste. Je pense que je l’ai entendu et que je me suis dit, il faut que ça soit dans le film, parce que ça correspondait à cette tristesse que je voulais exprimer, mais sans que je le sache forcément à ce moment-là.

Face à ce mal être, est-ce que l’amitié entre les personnages, et qui est au centre du film, constitue un refuge ?

Je voulais effectivement parler de l’importance de l’amitié. C’est une envie qui vient de ces amitiés que j’avais à ce moment-là de ma vie, mais aussi des amitiés que les actrices, qui ne se connaissaient pas, ont noué entre elles. L’amitié que l’on voit à l’écran est aussi à l’image de leur propre lien. L’amitié m’est devenue de plus en plus importante avec l’âge. J’avais moins de relations amicales fortes au début de ma vingtaine, puis j’en ai eu de plus en plus.

Je pense aussi que c’est difficile de faire des films sur l’amitié : on fait beaucoup de films sur les rapports hommes-femmes, ce qu’on voulait éviter, ou tout simplement des films où il y a des tensions fortes entre les individus, et peut être moins de films où il n’y a pas de conflits entre les gens -peut être parce qu’on a peur que ça soit moins intéressant. J’ai rajouté un léger conflit à un moment entre les personnages, pour essayer de créer un peu d’intrigue, parce que un de mes amis m’a dit que mes films manquaient d’intrigue, mais au final, ce n’est pas central. C’est dur de trouver des amis proches, c’est dur de savoir les apprécier quand on les trouve et c’est dur de les garder.


Propos recueillis et édités par Lena Haque pour Le Bleu du Miroir



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