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UNE FEMME INDONESIENNE

L’histoire d’une femme et de sa fille. C’est un film sur le voyage dans le temps, sur ce que ce voyage peut changer – mais dans la vie d’une femme, certaines choses ne changent jamais…

Critique du film

En l’espace de trois films, Kamila Andini est devenue l’un des visages du cinéma indonésien, qu’elle porte du haut de ses 35 ans avec beaucoup d’ambitions. Son thème de prédilection, l’émancipation féminine et l’absence de perspectives d’avenir pour les femmes de son pays, prend beaucoup d’ampleur dans son nouveau projet, Une femme indonésienne. Elle y filme une femme à plusieurs moments de sa vie, de la naissance de son premier enfant très jeune, au retour de son premier mari au moment où le régime politique change en Indonésie. L’histoire commence par une fuite ; en pleine jungle, Nana cherche une issue alors qu’elle croit son mari perdu aux mains d’une junte militaire qui ne tolère pas d’opposants. De premiers instants en pleine nature, comme un entre-deux où la forêt serait un trait d’union entre deux vies diamétralement différentes.

En une seconde nous retrouvons une femme habitant une belle maison, apprenant à sa jeune fille certaines leçons à retenir. Elle lui confie que les femmes se coiffent d’un chignon pour camoufler leurs secrets. C’est désormais une belle maison avec des domestiques qui abritent la famille de Nana. Elle a eu quatre autres enfants, dont Dais qui ne la quitte pas, la seule qu’elle n’a jamais pu se résigner à laisser à des parents pour les protéger de la dureté des temps et l’instabilité politique. Si la vie semble désormais douce pour les protagonistes, elle est aussi faite de compromis durs. Le visage de Nana est tendu et crispé, elle doit subir l’infidélité d’un mari laconique qui a su la mettre à l’abri du besoin, mais ne semble pas avoir comblé le vide laissé par son premier mariage.

Nana

Une femme indonésienne est un film qui suggère plus qu’il ne démontre. Si Kamila Andini fait parler ses personnages, c’est dans le hors-champ et dans les silences qu’elle déplace toutes les problématiques contemporaines de son pays pour se concentrer sur les difficultés de son héroïne à trouver une place durable où elle se sentirait légitime. La notion de devoir est aussi première dans l’attitude et les pensées du personnage. La réapparition de son premier époux la force à devoir reconsidérer tous les paramètres de sa vie et, notamment, tout son équilibre familial durement acquis. Les différentes temporalités de cette histoire recouvrent les nappes et strates de son identité qui se confronte aux limites de sa liberté.

Kamila Andini délivre un film pudique et d’une grande sensibilité qui se recroqueville dans les contradictions et les détails intimes de la vie d’une femme douée d’une capacité d’adaptation hors du commun. Quels autres choix Nana a-t-elle eu dans sa vie d’adulte à part celle d’être une épouse, une mère, et subir les fluctuations politiques qui se concrétise par une violence inouïe dans le quotidien ? Si le film a un rythme lent et doux, il cache en creux un réquisitoire brillant contre ce pouvoir des hommes qui cadenassent la vie de leurs femmes et de leurs filles. Cette belle histoire d’émancipation féminine s’inscrit dans une œuvre déjà riche, qui offre une nouvelle facette du cinéma d’Asie, loin du pouvoir des pères qui régentent une société beaucoup trop verticale et inégalitaire.

28 décembre 2022 – De Kamila Andini, avec Happy Salma, Laura Basuki et Rieke Diah Pitaloka.

Présenté en compétition à la Berlinale 2022




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