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UN AN, UNE NUIT

D’après l’autobiographie de Ramon González, survivant de l’attaque terroriste du Bataclan en 2015.

Le traumatisme d’un jeune couple franco-espagnol. Tous les deux sont des survivants de l’attaque du Bataclan, le soir du 13 novembre 2015.

Critique du film

Isaki Lacuesta est un nom important dans le cinéma espagnol de ces deux dernières décennies. Si aucune de ses œuvres n’a eu l’opportunité de sortir dans les salles françaises jusqu’ici, le cinéaste a développé une filmographie peuplée de films radicaux, comme Los Pasos Dobles, entre fiction et documentaire. Proche de l’art contemporain, ce film fut réalisé en collaboration avec l’artiste Miquel Barcelo, et a reçu le Coquillage d’or en 2011 au festival international de San Sébastian. Retrouver cet auteur a la tête d’un projet ayant pour sujet un couple présent dans le Bataclan au moment des attentats du 13 novembre 2015 a dès lors de quoi intriguer.

De son propre aveu c’est son producteur Ramon Campos qui l’a convaincu de se lancer dans cette aventure après avoir lu le livre de Ramon Gonzalez, présent ce soir là dans la salle de spectacle parisienne. C’est cette lecture qui marque le point de départ de l’écriture du scénario, avec néanmoins quelques variations. En effet, le couple représenté à l’écran formé par Ramon (Nahuel Perez Biscayart) et Céline (Noémie Merlant), est inspiré de personnes réelles ayant collaborées activement à cette histoire. Le script d’Isaki Lacuesta et ses co-scénaristes ont tenu dans leur développement à ajouter le point de vue de la jeune femme, là où le travail de Ramon Gonzalez ne comportait que le sien. Cette différence majeure va polariser tout le récit et en constituer le cœur.

Un ano, una noche

Cet antagonisme est représenté comme ce qui sépare les deux protagonistes : lui est angoissé, extériorise beaucoup son traumatisme, quant elle refoule tout, refusant même de parler de ce qu’elle a pu voir ou ressentir. Les disputes, la gestion de leur quotidien après le drame, tout tourne autour de cette dualité. Ramon s’effondre, puis décide de remettre en question tout ce qui compose sa vie, à commencer par sa carrière professionnelle. Sur un coup de tête il quitte son emploi d’ingénieur informatique, prospère, mais qui ne le passionne pas. Dans ce moment de crise intense il ne lui est plus possible de continuer à faire ce type de compromis. Céline elle reprend tout de suite son travail d’éducatrice spécialisée en foyer, et cache ce qui lui est arrivée à ses collègues.

L’incompréhension entre les deux personnes est de plus en plus patente avec le temps, prouvant que le drame ne rapproche pas les êtres, bien souvent ils les séparent, attestant de l’impossibilité à partager un tel malheur sur le long terme. Si le thème est fort, terriblement dur à regarder, se pose la question de la pertinence de ce traitement. Les spectateurs sont-ils prêts à un tel film ? Interrogée, Noémie Merlant pense que ce questionnement recoupe les différences entre les personnages. Certains le seront et auront une réaction positive, d’autres le rejetteront en bloc car il n’est pas encore temps pour eux de s’y confronter. L’impact émotionnel et l’affect est beaucoup trop important pour mesurer le devenir d’un tel film.

D’un point de vue cinématographique le résultat ne fonctionne pas toujours, et là aussi on peut énoncer des doutes sur son dispositif peut être trop binaire. Si Ramon et Céline ne se comprennent pas dans leurs réactions opposées, il est également difficile d’adhérer à beaucoup de séquences où l’auteur fait le choix d’interposer des flash-backs se déroulant à l’intérieur même de la soirée du 13 novembre. Là où un film comme Amanda de Mikhaël Hers faisait une sorte de « pas de coté », ne nommant pas le drame et ne le montrant jamais, Lacuesta fait le pari d’une approche plus frontale, assumant son choix en se justifiant de tout voyeurisme et ne voulant pas « trahir le livre de Ramon Gonzalez ».

Les intentions étaient bien de montrer une année au cœur du traumatisme d’un couple frappé par l’horreur du terrorisme, et pourtant, constat d’échec patent, la scène de dialogue la plus réussie est sans doute l’une des dernières. Ramon et Céline arrivent enfin à se dire tout ce qui les sépare, prenant conscience que leur « renaissance » ne peut se faire ensemble. Ce moment, beau et sensible, fait se demander quel film aurait pu être Un an, une nuit s’il avait mieux su faire parler ses personnages, les regarder et les écouter. S’il est en effet important, presque vital, de filmer le contemporain, il est aussi fondamental de prendre la bonne hauteur et de choisir le bon point de vue. Il n’est pas sur que le parti d’Isaki Lacuesta y parvienne malgré toutes ses bonnes volontés.

Bande-annonce

3 mai 2023 – De Isaki Lacuesta, avec Noémie Merlant, Nahuel Pérez Biscayart et Quim Gutiérrez.


Présenté en compétition à la Berlinale 2022