Steve Jobs

STEVE JOBS

8
Un récital !

Situé dans les coulisses de trois lancements de produits emblématiques et se terminant en 1998 avec le dévoilement de l’iMac, Steve Jobs nous entraine dans les coulisses de la révolution numérique pour peindre un portrait intime de l’homme brillant à son épicentre.

Jobs, Steve Jobs.

Avec Steve Jobs le genre du biopic, trop souvent ampoulé et cumulant tous les clichés des success story quelles soient américaines ou non, vole en éclats. Tel n’était pas le cas de Jobs (2013), précédent film sur le fondateur d’Apple incarné par Ashton Kutcher qu’il est de bon ton de sortir du silence pour la raison suivante : le film de Stern se présentait comme une fade hagiographie chapitrée par un scénario sans aucune aspérité. Une sorte de copie ratée de The Social Network sortie trois ans plus tôt qui narrait la création de Facebook. David Fincher parvenait, en plus de dresser le portrait de Mark Zuckerberg, à offrir celui d’une époque tout entière. La virtuosité du metteur en scène ne faisait qu’un avec la construction narrative et la précision des dialogues concoctées par son non moins talentueux scénariste Aaron Sorkin. L’homme connu pour ses différentes créations télévisuelles au style singulier (Sports Night, The West Wing ou The Newsroom) et cinématographiques audacieuses (Le Stratège ou La Guerre selon Charlie Wilson) est celui à qui l’on doit ce très réussi Steve Jobs, Sorkin toujours aussi inspiré lorsqu’il s’agit d’écrire sur les géniaux connards antipathiques de ce monde. 

Que se soit affirmé d’emblée, le film n’a pas forcément l’envergure de The Social Network car Danny Boyle n’est pas David Fincher. Néanmoins, le réalisateur fait le choix pertinent d’utiliser trois support différents (16mm, 35mm, puis numérique) dans chaque partie de son triptyque, rendant compte au mieux de l’état d’esprit du personnage et de son époque. Son montage permet par ailleurs de fluctuer certaines séquences tendues par la violente densité des échanges entre les protagonistes. Mais son style n’en demeure pas moins maniéré et souvent irritant. Les effets tape à l’œil alourdissent parfois la subtile rythmique narrative mise en place. Si la réalisation trop souvent opératique à tendance à agacer, la virtuosité de Sorkin subjugue et c’est à lui qu’incombe la paternité du film. En osant comparer la structure du film à celle d’un opéra, on pourrait dire du scénariste qu’il livre là sa plus belle symphonie.

Librement inspiré de la biographie (autorisée) de Walter Isaacson, le film évite l’ecueil de la compilation des meilleurs moments de la vie de Steve Jobs, de sa naissance à sa mort, et encore moins un récit élégiaque sur la marque à la pomme. Vous n’entendrez d’ailleurs jamais parler de Xerox, d’iPhone, de Pixar ou du cancer qui a mis prématurément fin à ses jours. Construit en trois actes de quarante minutes, chaque partie correspond au lancement d’un produit phare de la marque. D’abord en 1984 à Cupertino avec la présentation du Mac, puis en 1988 avec son exil qui donna le NeXT, et, pour finir, le retour du fils prodigue à la maison mère en 1998 avec le retentissant iMac. Si Steve Jobs était bien connu pour ses keynotes de présentations minutieusement préparées, nous n’assisterons à aucune d’entre elles mais plutôt aux minutes les précédant. Comme se prête à le répéter Aaron Sorkin, il ne s’agit pas ici d’une photographie de la réalité mais plutôt d’une peinture, le scénariste privilégiant le désir de vérité et manipulant allègrement les données factuelles présente dans la biographie d’origine. On imagine bien entendu que les dialogues échangés entre les protagonistes sont loin de ce qu’ils ont réellement été, mais l’intelligence réside ailleurs….

Steve Jobs

Kate Winslet et Michael Fassbender, immenses.

Sorkin va faire intervenir dans ces trois actes exactement les mêmes protagonistes dans des situations qui ont existées (mais qui de toute évidence ne se sont pas toutes déroulées de cette façon), perturbant Steve Jobs à quelques minutes des lancements. Ce choix permet de mettre en parallèle les difficultés techniques rencontrées par Jobs et son équipe lors des préparatifs à l’incapacité de ce dernier à gérer sa vie privée et ses relations avec autrui. Ironique de la part d’un homme qui se targue justement d’apporter du bonheur via ses produits. Dans ces personnages tous remarquablement interprétés, on retrouve son ex-conjointe Chrisann Brenna (Katherine Waterston), accompagné de sa fille Lisa dont Jobs renia la paternité pendant un moment. Les échanges entre cette enfant et son père permettent de réhumaniser un homme présenté comme glacial et apathique, lorsqu’il se rend compte que le monde qu’il construit à travers l’usage des technologies est celui de sa fille, trouvant en elle sa muse inavouée. Ses échanges les plus vifs concernent ceux entretenus avec John Sculley (Jeff Daniels) CEO d’Apple jusqu’en 1993, mais également avec son acolyte et pionnier de l’industrie micro-informatique Steve Wozniak (Seth Rogen) tête pensante des premières conceptions d’Apple en recherche de reconnaissance de la part de Jobs. Mais l’on retiendra surtout le personnage de Joanna Hoffman, la toujours juste Kate Winslet, touchante dans le rôle de bras droit du monstre autiste et latent de la société à la pomme. Le roi et tous ses sujets s’invectivent lors des désormais fameux walk-and-talk propres à Aaron Sorkin, dans les coulisses de sa vie privée et professionnelle à travers un verbiage technique mais non moins compréhensible, évitant tout communautarisme. 

Mais c’est Michael Fassbender qui surprend à nouveau. Bien habitué à rentrer dans la peau de personnages complexes, il prête de façon impériale ses traits non ressemblants au fondateur d’Apple, duquel Sorkin n’a retenu que l’essence. Préférant convoquer l’individu plutôt que de l’imiter, on sort éreinté après deux heures de film donnant l’impression d’avoir passé une vie entière à se promener dans les longs couloirs qui irriguent le cerveau de Jobs en compagnie d’individus qui lui sont inconciliables. Il nous laisse avec un spécimen à la fois sociopathe et prodige. Rapprochant l’homme de ses machines attractives mais non compatibles avec les autres systèmes. Un circuit fermé, qu’il a érigé en projet de vie. Sorkin nous offre à voir l’intérieur, mais jamais à savoir comment celui-ci fonctionne. À raison.

La fiche

thb_Steve-Jobs

STEVE JOBS
Réalisé par Danny Boyle
Avec Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rogen, Jeff Daniels…
Etats-Unis – Drame, Biopic
Sortie : 3 Février 2016
Durée : 123 min




0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

2 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
ynausicaa
ynausicaa
8 années il y a

Je l’attends avec impatience… Cette critique ne fait que renforcer mon envie….

Squizzz
8 années il y a

Je suis presque totalement d’accord avec cette critique sauf… le bémol que concernant la réalisation de Boyle. Les critiques que tu lui fais ne sont que des détails dans sa mise en scène. Il adopte un style bien plus sobre qu’à l’accoutumé pour coller parfaitement à son sujet. Les quelques « effets tape à l’œil » ne sont presque réduits qu’aux phases de transition, les cadres stylisés sont également assez rares et à chaque fois justifiés par la dynamique du film.
On est d’accord, le film doit énormément à Sorkin, mais lui imputé à lui seul la paternité est réducteur. Son scénario est brillant mais casse gueule pour un réalisateur qui n’aurait pas le talent requis pour réussir à dynamiser toutes les séquences de dialogues. Les choix de cadrages, la mise en scène des séquences en huis clos et l’extraordinaire travail de montage (que tu soulignes également) permettent une mise en tension du spectateur et mettent admirablement en avant les tourments internes des personnages. Pour moi c’est vraiment la conjugaison des talents du scénariste, du réalisateur et des comédiens qui fait la grande réussite du film.

2
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
%d blogueurs aiment cette page :