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LOIN DE VOUS J’AI GRANDI

Depuis longtemps, Nicolas se débrouille seul. Aujourd’hui, il a 13 ans, aime l’histoire d’Ulysse, Jack London, et vit en foyer dans la vallée de la Bruche avec son ami Saïf, arrivé lui, de loin, par la mer. Ensemble, ils partent dans les bois écouter leur musique, parlent îles et mobylettes. Ou fuguent. Parfois, Nicolas retrouve sa mère et les siens pour une virée à la fête foraine, une grenadine ou un baptême. Mais bientôt il a quinze ans et l’avenir s’approche.

Critique du film

Marie Dumora est une réalisatrice qui a de la suite dans les idées. Sa caméra enregistre, par étapes depuis 20 ans, le parcours de Sabrina et de sa famille. Loin de vous j’ai grandi commence par la cérémonie de baptême du petit Nicolas, alors âgé de deux ans, séquence reprise de Je voudrais aimer personne, son troisième long-métrage. Telles les pièces d’une guirlande qui éclaire des moments de vie, chaque long-métrage de la réalisatrice depuis Avec ou sans toi compose le nouveau couplet d’une chanson au long cours. Loin de vous j’ai grandi se nourrit du corpus d’images existantes, le reliant à un fil narratif dont le temps constitue l’épaisseur.

UNE HERBE FOLLE

Onze ans après les fonds baptismaux, la cinéaste retrouve Nicolas, adolescent taiseux, placé en foyer à Shirmeck dans la vallée de la Bruche, aux confins de l’Alsace et des Vosges. Sabrina a choisi de placer son fils à un moment de sa vie, où elle savait ne pas pouvoir lui donner un cadre éducatif stable et fertile. Contrairement à leur frère aîné, les deux sœurs de Nicolas grandissent auprès de leur mère, et la famille va bientôt s’agrandir.

Proche d’un cinéma vérité, Marie Dumora ne déroge pas à certaines règles fixées depuis longtemps : un seul objectif (50 mm), pas d’entretiens face caméra, seule la sobre captation de ce qui advient. Du cinéma antispectaculaire, des instants de vie que le montage ordonne en récit. Quel est ce petit homme qui lit avidement Ulysse (une version BD), fraternise avec Saïf, réfugié tunisien, et retourne de manière sporadique chez sa mère ? Un être attaché à qui, à quoi ? À qui confie t-il ses secrets, ses rêves ou ses angoisses ? Autant de questions que le film pose sans chercher à y répondre à tout prix, car ce qui se joue devant cette caméra témoin, c’est le processus de développement d’une herbe folle.

Comment Nicolas pourra t-il échapper au déterminisme social auquel il semble condamné ? Comme un mantra, sa mère lui répète de ne pas reproduire ses propres erreurs. Elle-même a grandi en foyer. Elle aurait voulu faire des études mais s’est retrouvée enceinte à 14 ans. Quatorze ans, c’est justement l’âge de Nicolas, l’occasion d’une fête au foyer avec deux briquets allumés en guise de bougies et un chœur aussi enthousiaste que faux pour lui souhaiter un joyeux anniversaire.

Si Nicolas parle si peu c’est peut-être qu’il s’est résigné à être mal écouté. Le regard que pose Marie Dumora sur l’adolescent n’est pas une consolation mais une révélation.

DIGNITÉ SANS FARD

On trouve dans Loin de vous j’ai grandi toute la beauté d’un cinéma qui place, le temps d’un film, des vies frustes au centre du jeu. Nicolas apprend, de la bouche de Sabrina, son histoire familiale. Ses arrière-grands parents se sont connus et aimés dans un camp de concentration sis juste à côté de son foyer, sur des terres alors annexées par le Reich. Issus de la communauté yéniche, ils ont trimballé leur roulotte de ville en ville. Nicolas est l’héritier d’une richesse impalpable, d’une dignité sans fard et c’est cette grâce que s’attache à montrer et partager Marie Dumora.

On peut sans difficulté saisir ce fil de vie à n’importe quelle étape de sa progression mais le prendre en cours de route donne terriblement envie de rattraper les épisodes précédents (il y a en effet quelque chose de feuilletonesque dans cette œuvre, y compris dans sa dimension romanesque) et surtout de suivre les prochains. La fermeture à l’iris du dernier plan isole une petite sœur de Nicolas, promesse de continuation. Nous serons au rendez-vous.

Bande-annonce

17 novembre 2021De Marie Dumora




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