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LES BANSHEES D’INISHERIN

Deux amis de toujours se retrouvent sur une île irlandaise isolée à un moment délicat de leur relation, lorsque l’un d’eux ne veut plus de cette amitié.

Critique du film

Après la consécration de son 3 Billboards en 2018, auréolé de deux oscars et un Bafta, Martin McDonagh revient vers les acteurs qui avaient inauguré sa carrière de metteur en scène en 2008 dans Bons baisers de Bruges, Colin Farrell et Brendan Gleeson. Les Banshees d’Inisherin se teinte également de cet humour noir et grinçant qui avait fait la force de ce premier film du réalisateur britannique. On retrouve le duo sur une petite île au large de l’Irlande, entre 1922 et 1923, au moment exact où le pays se déchire dans une guerre civile qui va coûter 4000 vies au peuple irlandais. Si ce fait politique reste dans le hors-champ, on ne voit que quelques explosions et détonations au loin, il conditionne et alourdit l’atmosphère déjà fort terne et dépressive d’un film qui pose ses bases sur la mort d’une amitié très ancienne.

C’est le postulat de départ : Colm décide un beau matin de ne plus adresser la parole à son inséparable ami Padraic au motif que la vie est trop courte pour la passer à écouter le bavardage indigent d’un idiot. La violence de cette déclaration qui intervient dès l’introduction du film coupe tout suspense. McDonagh ne joue pas sur le mystère et la surprise, ce qui l’intéresse c’est de creuser l’absurdité de la situation qu’il installe d’emblée pour mieux décrire la petite communauté isolée où se déroule l’intrigue. L’île se réduit à peu de choses : quelques maisons, Padraic vit avec sa sœur Siobhan, jouée par l’excellente Kerry Condon, un policier violent et taciturne, un pub où tous et toutes se retrouvent à des moments clefs de la journée, et une épicerie située sur l’autre rive qui leur permet de subsister. Peu d’événements rythment les journées d’Inisherin, on semble peu travailler, Padraic s’occupe de ses animaux, il vent le lait de sa vache pour obtenir quelques billets, Colm écrit de la musique.

Les banshees d'Inisherin
Cette vie simple et insulaire ne tient qu’à un fil, et la discorde entre les deux anciens amis rebat les cartes de cet équilibre précaire où chaque habitant devient le spectateur amusé puis attristé de ces frasques peu communes. Siobhan dénote au milieu de ces hommes devenus fous, elle est la voix de la raison qui tente de faire prendre conscience chacun de la bêtise de ses réactions. C’est également par cette querelle qu’elle réalise que sa vie doit s’écrire ailleurs et qu’il est grand temps de laisser derrière elle cette existence monotone et triste. Ce qui était léger et amusant au début du film finit par devenir tragique avec la radicalité qui entoure le personnage de Colm. Décidé à aller jusqu’au bout de ses menaces si Padraic ne le laisse pas en paix, il infuse les lieux de cette folie qui, loin de faire peur à son opposant, le pousse lui aussi dans ses retranchements. Lui qu’on traitait comme un benêt sans intérêt devient un autre homme, sa voix devient assurée et ses actes répondent avec force à ceux de Colm.

Il y a beaucoup de fatalité dans Les Banshees d’Inisherin, une vieille femme, qui fait office tout à la fois d’oracle mais aussi d’allégorie de la Mort, prédit que deux personnes vont trépasser dans les jours qui viennent. Chacun se retrouve menacé par l’évolution des événements, le printemps 1923 prend une toute autre couleur, à l’image des événements qui touchent à leur fin sur la grande île irlandaise toute proche. Cette micro-société insulaire devient alors un miroir sur le monde qui évolue, dépassant l’Absurdité ambiante pour se faire avant-garde visionnaire. Si le casting est parfait, il est servi par une écriture magnifique qui n’oublie aucun personnage, chacun étant détaillé avec précision, que ce soit le policier, le tavernier ami de tous ou encore la propriétaire de l’épicerie avide de ragots pour la sortir de son quotidien routinier. Martin McDonagh signe un film d’une grande dignité sur l’usure du monde et sur la fatigue mentale de personnages extrêmement attachants.

Bande-annonce

28 décembre 2022 – De Martin McDonagh, avec Brendan Gleeson, Colin Farrell et Barry Keoghan.


Présenté en compétition à la 79ème Mostra de Venise.




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