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LE SALAIRE DE LA PEUR

En Amérique Centrale, une compagnie pétrolière propose une grosse somme d’argent à qui acceptera de conduire deux camions chargés de nitroglycérine sur 500 kilomètres de pistes afin d’éteindre un incendie dans un puits de pétrole. Quatre aventuriers sont choisis et entament un voyage long et très dangereux…

Critique du film

Déjà considéré comme l’un des maîtres en la matière, Henri-Georges Clouzot innove en proposant avec Le Salaire de la peur un suspens d’un autre rythme. Monument du genre, dont les influences vont du remake Sorcerer de William Friedkin à Mad Max : Fury Road de Georges Miller, la virtuosité technique du Salaire de la peur n’est pas seule maître à bord, mais couve un sous-texte politique et philosophique.

Dans Le Salaire de la peur, le suspens se construit sur un rythme différent. À la différence de films comme Le Corbeau ou Les Diaboliques, il n’y a pas d’unicité du suspens dans un temps long, mais une multitude de points de suspens dont l’enjeu doit être résolu dans l’instantanéité. Chaque mètre parcouru avec ce camion surchargé de nitroglycérine est sujet à une immense tension. Le moindre dos d’âne, le moindre virage, est pétri de danger. Cette configuration offre au film, en plus d’un suspens diffus tout le long du film, une pluralité de points de suspens à part entière. Plus fort que “arriveront-ils à terme ?”, les questions de type “comment peuvent-ils passer cet obstacle ?” fusent. 

MOTEUR, ACTION !

Aux pléthores de « temps de suspens » s’ajoute leur rythme. L’histoire du Salaire de la peur est celle d’une route à parcourir. Mais sur cette route, les mètres parcourus en quelques secondes peuvent se dilater sur une temporalité plus longue. Des torrents de sueur perlent sur les corps des personnages, chaque détail compte et mérité une concentration maximale, que les personnages n’ont plus à mesure que leur camion avance. Le montage étire ces étapes, qui ne sont pourtant que l’affaire de quelques mètres, en se concentrant sur les pénibles manœuvres du poids lourd. Ajouté à des gros plans sur la mécanique, qui maintiennent à peine les environnements, le spectateur est saisi par la difficulté de déplacer ce dix-tonnes, ne serait-ce que d’un iota.

La mise en scène de Clouzot est, en la matière, un exemple à suivre. Mais l’histoire, en apparence simplissime du Salaire de la peur, est celle, plus universelle qui oppose l’Homme – mais surtout l’homme – à la nature. Mario et Jo, les deux protagonistes principaux, sont des truands à la recherche d’argent facile pour quitter La Piedras. Une base américaine, chargée d’extraire du pétrole dans les environs leur confie cette dangereuse mission qui sera le fil conducteur du film. La cupidité, la soif de profit, amènent ces hommes à tenter de dompter la nature. La confrontation entre le monde des hommes, industrialisé à outrance et la nature n’est pas unilatéral. Comme le Soleil faisant face aux ailes d’Icare, la route et les obstacles naturels sont autant de rappel à cet affrontement, autant d’armes qu’emploierait la nature pour se défendre. Un affrontement, qui, même si en apparence gagné par les hommes, n’est qu’une victoire de courte durée, comme le rappelle la fin ironique du film.

Mais il y a certainement une charge politique dans Le Salaire de la peur. On y suit principalement des hommes occidentaux, dans un village d’Amérique centrale. Ce sont des truands ou des industriels, mais tous à la recherche de gros sous qui s’invitent sur un territoire par avidité. On suit autant ces protagonistes qu’ils sont source de malheur là où ils passent. Les Américains et leur extraction meurtrissent les sols et le paysage, les truands font leur loi en dépit des populations locales. Tous sont in fine happés par l’appât du gain, mais pas forcément pour les mêmes raisons, à l’instar de Luigi. Mais les obstacles que rencontrent les quatre routiers, ceux créés par la route, peuvent également être alors les réponses du pays en tant qu’entité politique. Une réponse censée être à armes égales d’un pays qui en aurait assez de voir ses terres transformées en enfer industriel occidental. A ce titre, la base d’extraction de pétrole évoque justement une sorte de sabbat industriel, où se côtoient machineries infernales et immenses flammes.

Malgré une très longue exposition – près de 40 minutes, néanmoins nécessaires à créer un attachement sain et distancié aux personnages – Le Salaire de la peur fait indéniablement partie des meilleurs films d’Henri-Georges Clouzot et peut, sans conteste, être considéré comme un chef d’œuvre du cinéma français.


Disponible sur OCS




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