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LA VÉRITÉ

Fabienne, icône du cinéma, est la mère de Lumir, scénariste à New York. La publication des mémoires de cette grande actrice incite Lumir et sa famille à revenir dans la maison de son enfance. Mais les retrouvailles vont vite tourner à la confrontation : vérités cachées, rancunes inavouées, amours impossibles se révèlent sous le regard médusé des hommes. Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune. Réalité et fiction se confondent obligeant mère et fille à se retrouver… 

Critique du film

Certains titres de film sonnent comme des postulats philosophiques, programmes de bien des interrogations et de bien des possibles. La vérité est tout d’abord celle d’une rencontre entre deux géants du cinéma international. Le réalisateur Hirokazu Kore-eda, stakhanoviste enchaînant les films, un par an depuis le début de la décennie, et l’actrice Juliette Binoche. Découverte chez Carax (Mauvais sang) et chez Kieslowski (Trois couleurs-Bleu), à cheval entre les années 1980 et 1990, ce n’est pas un hasard si on la retrouve dans le premier film hors Japon du metteur en scène d’Une affaire de famille, palme d’or à Cannes en 2018.

Binoche n’a eu de cesse dans sa carrière de rencontrer des cinéastes d’horizons éloignés, mais aussi de les ramener dans un univers différent du leur. On peut citer Abbas Kiarostami, à deux reprises (Copie conforme et Shirin), mais aussi l’immense Hou Hsiao Hsien (Le voyage du ballon rouge) et plus récemment Naomi Kawase avec Voyage à Yoshino. De l’aveu même de Kore-eda, c’est le désir de travail et de partage mutuel de Binoche qui est à l’origine de ce nouveau film. Cette envie de cinéma résonne dès lors comme une clef de voûte qui permet la mise en abyme de tout le travail du réalisateur japonais.

Une mémoire défaillante

En effet, Kore-eda est un cinéaste qui interroge inlassablement les mêmes problématiques. Son obsession pour les familles, plus ou moins dysfonctionnelles, leurs constructions, et leurs dissymétries, sont encore à l’œuvre dans La vérité. Lumir est une scénariste française qui vit à New-York. On comprend rapidement que cela sonne à la fois comme une émancipation et un exil vis à vis de la présence envahissante et dévorante de sa mère, incarnée par Catherine Deneuve, parfaite pour un rôle qui, s’il ne lui ressemble pas exactement, avait besoin d’une icône ayant traversé et survécu à plusieurs décennies de cinéma. Les deux femmes sont d’emblée positionnées dans un affrontement qui fait ressentir le poids des traumatismes et des reproches dans une relation mère/fille plus que compliquée.

Le génie d’Hirokazu Kore-eda est de pousser son dispositif plus loin que cette lutte générationnelle, déjà passionnante, en distillant plan après plan le doute, au cœur de la mémoire. De nombreux dialogues du film font apparaître que les douleurs et les plaies du passé sont construites plus sur des sentiments que sur des faits. Personne ne semble se rappeler avec exactitude de quoi que ce soit. Les lieux sont plus petits que dans les souvenirs, les gens plus accueillants, et la vérité plus complexe qu’elle n’y paraît.

L’ombre de Sarah 

En définitive, les souvenirs de Lumir en disent plus long sur la femme qu’elle est devenue, que sur la femme qui l’a élevée, ou a échoué à le faire. Son choix d’homme même, hilarant Ethan Hawke en total contre-emploi, est la preuve qu’elle a rejeté la figure maternelle jusque dans sa vie intime. Acteur de seconde zone, il est, de son propre aveu, « meilleur amant que comédien ». Cette volonté de chercher la lumière, allégorie du nom qu’elle porte, l’a quelque part éloignée de la vérité. La figure monstrueuse de l’actrice Deneuve, qui phagocyte tout, détruisant son entourage, privilégiant sa carrière, caricature d’exigence, est presque réhabilitée. Tout du moins, le cinéaste démontre-t-il que rien est simple dans une histoire de famille. La figure de Sarah, ancienne amie de la mère, que Lumir a follement aimée, a cristallisé tous les souvenirs positifs de l’enfance. Son énergie et son ombre se matérialise autour de la jeune actrice jouée par Manon Clavel, magnifique révélation du film, dont la voix grave réussit à bouleverser alors même qu’elle ne se déploie que dans un espace très confiné, celui du film dans le film.

La vérité est très dense dans son analyse, tournant autour des thèmes préférés du réalisateur, mais les renouvelant également par cette déconstruction du métier d’actrice, soulignant les sacrifices que cela sous-entendant pour durer et ne pas disparaître.

Il est amusant de constater que dans le film les hommes sont des figures fantomatiques, hantant le second plan ou le hors-champ, à l’image du père de Lumir, dont on ne sait jamais réellement s’il est une vision fantasmée et irréelle, ou bien un personnage présent et incarné. Kore-eda joue beaucoup avec cette idée que les hommes de la vie de Fabienne/Deneuve, sont presque interchangeables, comme une sorte de renversement subtil de paradigme dans le rapport de domination classique. Si l’on ressent très fortement l’écriture de Kore-eda dans le film, on se prend parfois à penser à Olivier Assayas, qui lui aussi avait développé un questionnement autour des actrices et du mode opératoire dirigeant leur vie au sein du très beau Sils Maria

Si le film est rigoureux dans son écriture, il n’oublie jamais d’être un puissant vecteur d’émotions, comme toujours chez le réalisateur japonais, troublant et bouleversant dans les failles qu’il dégage entre ses personnages. La vérité est donc une œuvre complexe, brillante et émouvante, parfait cadeau de fin d’année d’un auteur qui a réussi à transposer son univers hors de ses terres, toujours soucieux de déployer ses obsessions avec une grâce indicible.

Bande-annonce

25 décembre – De Hirokazu Kore-eda, avec Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Ethan Hawke




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