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GERRY

Deux hommes, nommés tous deux Gerry, traversent en voiture le désert californien vers une destination qui n’est connue que d’eux seuls. Persuadés d’atteindre bientôt leur but, les deux amis décident de terminer leur périple à pied.
Mais Gerry et Gerry ne trouvent pas ce qu’ils sont venus chercher ; ils ne sont même plus capables de retrouver l’emplacement de leur voiture. C’est donc sans eau et sans nourriture qu’ils vont s’enfoncer plus profondément encore dans la brûlante Vallée de la Mort. Leur amitié sera mise à rude épreuve.

CRITIQUE DU FILM

Mélancolique, lancinante voire quasi religieuse : l’inimitable essence du cinéma de Gus Van Sant semble toute entière contenue dans Gerry, premier film de la célèbre Trilogie de la mort du réalisateur. Amorçant un tournant conséquent dans sa façon de raconter des histoires, Gus Van Sant délaisse ici la narration nerveuse, grinçante et quasi-hallucinogène qui caractérisait ses premiers films, sans pour autant se départir de ses thèmes favoris. Exit les cowboys et la drogue, mais pas le désert, protagoniste principal de ce long-métrage aride. Cette fois-ci, les « bad trips » ne sont plus dûs à l’abus de substance mais à la chaleur mortifère, qui annihile petit à petit le langage, préparant le terrain au verbiage superficiel d’Elephant et annonçant le mutisme de Last Days. Le narrateur et sa voix off, omniprésents dans ses œuvres précédentes, se sont tus. Que reste-t-il ?

Gerry fait partie de ces films qui, à première vue, ne racontent rien : c’est l’histoire de deux amis qui, par inadvertance et excès de confiance en eux, se perdent dans le désert et errent durant une heure et demie. Tiré d’un fait divers, le film marque l’incursion de Gus Van Sant dans un cinéma du réel, qui se nourrit du quotidien d’une Amérique désabusée plutôt que d’élaborer autour de l’imaginaire mythique du continent. Les héros ne sont plus des personnages plus grands que nature au caractère bien trempé, façon Matt Dillon dans Drugstore Cowboy ou Nicole Kidman dans Prête à tout, mais des Messieurs tout le monde, qui discutent gaiement de leur jeu télévisé préféré. Le pitch semble, à première vue, ambitieux si ce n’est ennuyant.

Gerry
L’exposition, une route qui se déroule à l’infini, n’en finit pas et annonce la structure du film. Pourtant, de ce non-événement, Gus Van Sant réussit à tirer un long-métrage étrangement captivant, au caractère quasi biblique, d’une beauté à toute épreuve. Perdant la notion du temps avec les protagonistes, oubliant qui ils sont -leurs prénoms identiques en font deux êtres interchangeables dont l’identité, au fond, importe peu, nous traversons l’enfer avec eux, tandis que les paysages se transforment sous nos yeux ébahis et que nous atteignons le bout du monde, là où ciel et sable se rejoignent. Sommes-nous encore sur terre ? Sommes-nous encore vivants ?

Dans Gerry, ce qui importe le plus n’est pas tant la destination que l’évolution de l’atmosphère et l’installation progressive d’une angoisse sourde, qui se mue petit à petit en renoncement tragique. Les héros sont à la recherche de quelque chose qui restera innommé et dont on ne saura rien, si ce n’est qu’ils ne le trouveront jamais. Bien qu’ils soient constamment à l’extérieur, c’est en fait une trajectoire mentale que nous offre Gus Van Sant, sous la forme d’un cauchemar éveillé sans fin et solaire. Le désert dans lequel ils évoluent n’existe pas : tourné entre l’Argentine et la Californie, le film s’émancipe de la réalité géographique pour mettre en scène un labyrinthe sans nom, qui pourrait être ici comme ailleurs.

Gerry
Porté par une bande-son minimaliste uniquement composée du piano d’Arvö Part, Gerry s’achève comme il commence, bouclant la boucle de cette histoire presque trop absurde pour être vraie. Ici et là, des références et des symboles émaillent le film -la mention de la ville de Thèbes, frappée par la peste, une étoile sur le t-shirt d’un des héros- et dessinent en creux une réflexion peut être plus vaste sur le temps, la dérive et la destinée. Si la traversée éprouvante du désert rappelle les héros bibliques des temps anciens, Gus Van Sant a admis s’être avant tout inspiré de la gestion de l’espace dans les jeux vidéo pour imaginer le périple de ses personnages -une toute autre religion moderne qu’il exploitera plus encore dans Elephant, un an plus tard. « Man vs wild » ? Hubris démesuré puni par une nature indomptable ? Le réalisateur signe en tout cas avec Gerry son film le plus contemplatif et, le temps d’une errance (presque) sans parole, fait cohabiter la grâce et le néant sous le soleil écrasant d’un monde où la télévision a remplacé les dieux.

Bande-annonce

Ressortie en salle le 17 août 2022De Gus Van Sant, avec Matt DamonCasey Affleck





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