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ANA GIRARDOT | Interview

Aussi lumineuse que talentueuse, Ana Girardot s’est révélée sous la direction de Fabrice Gobert qui lui a offert son premier rôle dans Simon Werner a disparu puis l’un des rôles de sa série acclamée Les revenants. Une décennie plus tard, la comédienne a touché à différents genres, de la comédie dramatique (notamment chez Cédric Klapisch) au fantastique, à l’exception peut-être de la comédie – même si ce n’est pas forcément une question de choix. Marraine de la 18e édition de Mon Premier Festival, la pétillante actrice nous a accordé un entretien pour l’ouverture du festival. L’occasion d’évoquer ses premiers souvenirs de cinéma, son regard sur les séries françaises, son désir (presque inassouvi) de faire une bonne comédie, et son point de vue sur l’état actuel du cinéma français. 

Comment appréhendez-vous votre rôle de marraine de Mon Premier Festival ?

Ana Girardot : Bonne question (elle réfléchit).

C’est un rôle différent que celui de jurée, que vous avez déjà tenu par le passé… 

Une marraine, oui. Quel est mon rôle ?

Comme une marraine dans les contes de fées ?

Oui, vous pensez que je dois aller distribuer des bonbons aux enfants et leur parler ?

Sans leur jeter de mauvais sort…

Non, surtout pas ! (rires) Je suis ravie d’être la marraine du festival, en quelque sorte la porte-parole de ce festival que je trouve extraordinaire. C’est une chance inouïe que d’avoir une telle programmation, si riche et dans tellement de salles parisiennes. Des ciné-concerts, des courts métrages, des films live et d’animation. C’est tellement riche en diversité, avec des ateliers et activités autour du cinéma. C’est une manière formidable d’amener un public très jeune dans les salles, de voir leurs réactions, de voir l’évolution des enfants au fur et à mesure des années, de voir les films auxquels ils ont accès et d’en parler. Comme c’est dans une salle, ça devient un lieu d’échange, c’est différent de regarder un film tout seul sur leur tablette.

Forcément, c’est une expérience marquante pour eux, qui va forger leur regard, leur avis, leurs propos et d’ouvrir des discussions. La thématique de l’héroïne cette année tombe parfaitement, cela permet de voir des représentations nouvelles pour les enfants, pour les jeunes filles mais aussi pour les jeunes garçons qui pourront parler de ces personnages à la récré et s’y identifier. Cela fait dix-huit ans que ce festival existe, j’espère qu’il va encore durer dix-huit ans, car j’aimerais le faire vivre à mon petit garçon de deux ans.

C’est une manière formidable d’amener un public très jeune dans les salles, de voir leurs réactions, de voir l’évolution des enfants au fur et à mesure des années, de voir les films auxquels ils ont accès et d’en parler. Comme c’est dans une salle, ça devient un lieu d’échange, c’est différent de regarder un film tout seul sur leur tablette.

Quels sont les films de la programmation que vous invitez tous les spectateurs à découvrir ? 

Si je devais choisir trois coups de coeur, je dirais Le Kid de Chaplin, forcément c’est le classique ultime, Le voyage de Chihiro – car je dois absolument choisir un Miyazaki, et Chicken Run. Parce qu’il permet d’aborder des sujets compliqués de manière ludique. Ce sera mon TOP 3, mais la programmation est tellement riche !

Effectivement, ce sont des incontournables. Cela reflète assez la diversité du cinéma jeune public et du cinéma d’animation. Quels sont vos premiers souvenirs de cinéma, en tant que jeune spectatrice ?

Oui, je m’en souviens très bien ! C’était dans un cinéma place d’Italie, pour voir Le Roi Lion. Cet énorme écran s’est transformé en un lieu de conte, de rêves et de joies. À partir de ce jour-là, je suis devenue accro et j’en redemandais encore et encore…

Est-ce que celui-ci faisait partie des films que vous regardiez en boucle, petite ? 

Pas forcément celui-ci, même si j’ai vu tous les Disney en boucle. Les VHS tournaient beaucoup chez moi, j’adorais les voir et revoir, encore et encore. À la maison, on avait même un ancêtre du DVD, une sorte de vinyle-film. Mon père avait ça. (Elle l’imite avec dérision) « J’ai ramené ça des Etats-Unis« . J’adorais Fievel et le nouveau monde, Petit pied le dinosaure… J’avais une dizaine de films que j’ai du voir une vingtaine de fois.

Pour rester dans le sujet et passer de l’autre côté de l’écran : avez-vous déjà eu l’occasion de faire du doublage pour un film d’animation ? 

Oh mais j’en rêve ! J’espère que cette année je pourrai rejoindre un projet et faire ma première voix d’animation.

Parlons maintenant de vos parcours… On vous a notamment découverte dans Les revenants, qui vous a révélée au grand public et qui a été l’une des premières, voire la première série française à rencontrer succès critique et public à la fois, et à vraiment s’exporter dans de nombreux pays à l’international. Depuis, la série française a le vent en poupe et vous en avez fait vous-même d’autres, quel est votre regard rétrospectivement sur l’évolution des productions de séries françaises ?

En effet, Fabrice (Gobert – ndlr) a impulsé une nouvelle manière d’écrire et de mettre en scène, avec une véritable exigence dans la qualité, un casting composé de comédien.ne.s qu’on n’avait pas forcément l’habitude de voir (qui venaient du théâtre, du cinéma). À partir de là, il y a eu une prise de conscience de l’exigence qu’on devait mettre dans ces productions pour avoir des séries qualitatives. Après il y a eu Le bureau des légendes et bien d’autres…

C’est un art pointu de faire rire. Quand il y a un bon rôle féminin de comédie, on est souvent nombreuses à se positionner pour l’incarner. Il n’y en a pas tant que ça !

En tant que comédienne, même si l’on devine que c’est forcément un sacré engagement (sur la durée, avec des tournages longs) que de faire une série, qu’est-ce qui vous plait lorsque vous tournez une série ? 

L’avantage est que c’est assez génial de pouvoir développer autant un personnage. À moins d’avoir le personnage principal dans le film, on n’a pas assez de largeur de développement du personnage, de ses sous-couches. Porter un personnage sur plusieurs saisons, c’est un travail de dingue autour de ce qu’on peut apporter au personnage.

De le mûrir pendant plusieurs mois, saisons… Et de collaborer avec le pool de scénaristes pour faire des propositions.

Je ne crois pas qu’on ait tant de marge de manoeuvre avec les scénaristes qui, eux-mêmes, doivent gérer avec la production et de nombreux facteurs. Mais c’est toujours génial de recevoir les nouveaux scénarios, de découvrir ce qu’il advient de notre personnage. On s’y attache et on le développe encore plus car la nouvelle saison permettra d’offrir d’autres facettes à faire découvrir aux spectateurs.

Ana Girardot pour l’ouverture de Mon Premier Festival – Photo Yohann BOREL

Vous confiez à un confrère que vous aviez très envie de faire une comédie. Pourtant, alors que vous semblez très à l’aise dans La flamme, vous ne semblez pas parvenir à concrétiser ce désir… Comment vous l’expliquez ?

Je ne sais pas… Je ne dois pas être très drôle (elle rit). Jonathan (Cohen – ndlr) m’a offert une très belle opportunité, un bel essai dans la comédie donc quelque part je l’ai concrétisé. Mais c’est vrai que j’attends de lire quelque chose qui m’excite autant, me fasse rire. C’est un art pointu de faire rire. Quand il y a un bon rôle de comédie, féminin, on sera souvent nombreuses à se positionner pour l’incarner. Mais il n’y a pas tant que ça… Je ne perds pas espoir !

Avez-vous le sentiment que les comédies françaises sont parfois trop calibrées, stéréotypées ? Même s’il y a quelques beaux rôles féminins chez Thomas Salvadori, Sophie Letourneur… 

Thomas, si tu lis cette interview, appelle-moi ! (rires).

Le message est passé. Avez-vous le sentiment que les comédies françaises ont tendance à négliger les personnages féminins, comme c’est aussi parfois le cas dès qu’on écrit un personnage « de minorités » ?

C’est difficile d’avoir le beau rôle dans la comédie, en tant que femme. C’est en ça que j’ai trouvé que La flamme et Le flambeau cassaient complètement les codes. J’aime me dire que les codes évoluent, que les choses changent. Les femmes écrivent davantage de comédies, l’écriture des personnages se modernisent pour sortir des stéréotypes. On n’a pas encore fait notre Bridemaids.

Ce n’est pas faute d’essayer. Dans Enorme, on constate qu’il y a d’autres façons de raconter une histoire improbable par le prisme de l’enfant… 

Voilà, c’est très encourageant ce genre de personnages et de regards.

La salle de cinéma, c’est l’un des derniers lieux qu’il nous reste pour vraiment déconnecter, ne plus être disponible pour autrui, ne l’être que pour soi. Laisser derrière soi ses problèmes et se laisser traverser par l’émotion transmise à l’écran. Cette expérience collective-là n’a pas de prix.

Le monde du cinéma français est en alerte, avec cet appel aux états généraux. Il y a eu beaucoup de prises de parole ces dernières jours. Quel est votre point de vue ?

J’ai foi en l’avenir. Le cinéma n’est pas mort et il ne va pas mourir. Parce qu’il y a trop de gens passionnés par le cinéma pour le laisser mourir. Des auteurs incroyables, des réalisateurs et réalisatrices, il y a encore des milliards d’histoires à raconter. Je crois que le côté sacré de la salle de cinéma restera toujours. C’est un des derniers lieux qui nous restent pour vraiment déconnecter, ne plus être disponible pour autrui, ne l’être que pour soi. Laisser derrière soi ses problèmes et se laisser traverser par l’émotion transmise à l’écran. Cette expérience collective là n’a pas de prix.

J’ai été jurée de festival à la rentrée et nous applaudissions les films en fin de projection. Quand je suis retournée au cinéma, je me suis mise à applaudir à la fin et les gens autour de moi me regardaient bizarrement. (elle rit et mime avec auto-dérision) « Bah moi, j’ai bien aimé alors j’applaudis ! » Le cinéma, ça doit être vivant. C’est un partage, quelque chose de chaleureux. Parlez du film, applaudissez, que ça devienne encore plus un lieu de partage. Rien ne remplacera le plaisir de voir un film au cinéma.

Et puis, un film c’est tellement de travail, des années souvent… Que c’est un tel gâchis de le regarder en scrollant sur Instagram.

Faut-il se battre pour sauver ce système vertueux, comme le souhaite l’artiste Agnès Jaoui, ou répondre à une logique de marché, comme le prône le producteur Jérôme Seydoux ?

À un moment donné, nous allons devoir nous réinventer. Peut-être qu’un autre réseau pour un certain type de cinéma pourra voir le jour et être soutenu. On a de nombreux petits festivals qui permettent de mettre en lumière les films et de les faire exister.

Les festivals marchent très bien, les salles sont combles !

Oui, j’étais à Nice et à Lyon, les salles étaient pleines à craquer. Il y a toujours le désir de cinéma, un engouement pour célébrer le cinéma, découvrir des films ensemble. Les choses sont peut-être à repenser –  on ne peut pas se battre pour un système qui ne marche plus – mais on peut trouver des solutions pour vivre avec notre temps. Jérôme Seydoux produit des gros films, c’est autre chose. C’est bien qu’ils existent, j’aurais adoré faire Les trois mousquetaires par exemple !

Eva Green est passée par là… Aucun respect !

Oui, je sais (faussement fâchée) Bitch ! (Elle rit) Je plaisante. Mais vous avez compris l’idée. J’ai envie de jouer dans tous les types de cinéma. Même les plateformes, qui permettent d’autres manières d’appréhender un tournage, elles offrent la possibilité à des voix de s’exprimer, avec des films politiques, intimes. Ce cinéma-là existera toujours ! Et il faut se battre pour le préserver.

Depuis cet été, le cinéma d’auteur français fonctionne très bien, avec Revoir Paris et La nuit du 12 (un demi-million de spectateurs), et plus récemment avec Les enfants des autres ou L’innocent qui font de très beaux scores, et des grosses sorties comme Novembre et Simone. Le public suit, quoiqu’en disent les pessimistes… 

Et puis ce sont de très beaux films, plaisants à voir et enrichissants. Même si je comprends que pour tout le monde ce n’est pas évident de mettre 12 euros pour une place de cinéma.

Pas forcément, le prix moyen d’une place de cinéma n’excède pas 7 euros en France… Mais c’est sûr que vous trouverez plus facilement une place à tarif abordable dans un cinéma indépendant que dans un multiplexe, qui n’offre de toute façon pas les mêmes prestations ou les mêmes programmations.

Ah oui, c’est beaucoup plus abordable, vous avez raison : allons tous au cinéma !


Propos recueillis par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir


Mon Premier Festival se tient du 26 octobre au 1er novembre (tarif unique : 4Є la séance)



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