VOYAGE À TRAVERS LE CINÉMA FRANÇAIS
Ce travail de citoyen et d’espion, d’explorateur et de peintre, de chroniqueur et d’aventurier qu’ont si bien décrit tant d’auteurs, de Casanova à Gilles Perrault, n’est-ce pas une belle définition du métier de cinéaste que l’on a envie d’appliquer à Renoir, à Becker, au Vigo de l’Atalante, à Duvivier, aussi bien qu’à Truffaut ou Demy. A Max Ophuls et aussi à Bresson. Et à des metteurs en scène moins connus, Grangier, Gréville ou encore Sacha, qui, au détour d’une scène ou d’un film, illuminent une émotion, débusquent des vérités surprenantes. Je voudrais que ce film soit un acte de gratitude envers tous ceux, cinéastes, scénaristes, acteurs et musiciens qui ont surgi dans ma vie. La mémoire réchauffe : ce film, c’est un peu de charbon pour les nuits d’hiver.
Suivez le guide.
On ne présente plus Bertrand Tavernier, le cinéaste, connu pour Coup de torchon, Capitaine Conan ou, plus récemment, Quai d’Orsay. En revanche, le grand public connaît un peu moins Bertrand Tavernier, le cinéphile, toujours prêt à défendre le cinéma et les cinéastes chers à son cœur. A l’image de Martin Scorsese avec ses Voyages à travers les cinémas américain et italien, le réalisateur choisit dans ce documentaire fleuve de se plonger au cœur du cinéma français des années 1930 aux années 1970.
Une entreprise gigantesque bourrée d’anecdotes et d’analyses. Cette immersion lui offre l’occasion d’aborder ses souvenirs d’enfance liés au 7e art, et notamment l’élément fondateur de sa passion… Il a 6 ans quand, en cure dans un sanatorium pour venir à bout d’une tuberculose, il découvre l’œuvre de Jacques Becker avec Dernier Atout. Un choc tel qu’aujourd’hui, Tavernier consacre rien de moins qu’un chapitre entier de son documentaire à clamer son enthousiasme pour sa mise en scène et sa modernité, bref, pour lui crier tout son amour.
D’autres réalisateurs ont droit à leur hommage : Jean Renoir, Marcel Carné, Jean-Pierre Melville (dont Tavernier a été un jeune assistant, une expérience évoquée avec des anecdotes de tournage savoureuses), Claude Sautet ou les trop méconnus Jean Sacha et Edmond T. Gréville.
Les comédiens ne sont pas oubliés. Jean Gabin est réhabilité, extraits à l’appui prouvant que sa palette de jeu était bien plus complexe que la simple dichotomie, théorisée par certains critiques, entre le Gabin d’avant-guerre (La Grande illusion, Quai des Brumes, La Bête humaine), prolétaire proche du Front Populaire, et le Gabin d’après-guerre (Voici le temps des assassins, Le Président…) qui se serait embourgeoisé. Une vision de l’acteur persistant de nos jours et que Bertrand Tavernier prend un malin plaisir à réfuter.
Plus inattendu, un long chapitre de Voyage dans le cinéma français est consacré à la musique de film des années 1930 et 1940. Les travaux de Maurice Jaubert et Joseph Kosma, deux compositeurs aujourd’hui injustement négligés trouvent ici le piédestal qu’ils méritent. Sans eux, des chef-d’œuvres comme L’Atalante de Jean Vigo ou Partie de campagne de Jean Renoir n’auraient probablement pas la même puissance lyrique.
Bertrand Tavernier assume son rôle de passeur. Il transmet sa passion aux spectateurs, jeunes ou moins jeunes, et donne l’envie de découvrir ou redécouvrir tout un pan de ce patrimoine national qu’il n’a jamais eu de cesse de vouloir faire perdurer. Aussi, même si l’on est plus ou moins familier des films et des auteurs dont il est question, c’est toujours avec délectation que l’on écoute Bertrand Tavernier parler de ce qu’il connaît sur le bout des doigts. On serait même prêts à boire ses paroles trois fois plus longtemps. Et ça tombe plutôt bien : un montage de 9 heures est en préparation pour la télévision ! Si l’on se fie à la promesse du carton final de cette version « courte » présentée au cinéma, ce nouveau montage abordera davantage en détails des cinéastes tels que Robert Bresson, Julien Duvivier ou bien encore Max Ophüls. On sera du voyage !
La fiche
VOYAGE À TRAVERS LE CINEMA FRANÇAIS
Réalisé par Bertrand Tavernier
France – Documentaire
Sortie : 12 Octobre 2016
Durée : 185 min