SEBASTIEN MARNIER | Entretien
Après une formation en arts appliqués, Sebastien Marnier se tourne vers le dessin-animé et l’université pour un cursus de cinéma. Après plusieurs court-métrages, il passe également à l’écriture et publie plusieurs ouvrages qui lui permettent d’obtenir une certaine reconnaissance et lui offrent son entrée dans le cinéma. Son premier long-métrage, le troublant Irréprochable avec Marina Foïs est accompagné de belles critiques. Il confirme avec L’heure de la sortie, un thriller écologique et paranoïaque. À l’heure de la sortie de… L’heure de la sortie, nous avons rencontré le cinéaste Sébastien Marnier pour parler de ce second long-métrage captivant qui confirme la belle santé du cinéma de genre en France.
Nous avons cru comprendre que la genèse de votre second film, L’heure de la sortie, n’a pas été linéaire.
S. M. : J’ai commencé à l’écrire avant Irréprochable. Je n’ai pas bossé dessus pendant quinze ans mais il a fallu ce temps pour que la version finale se concrétise. J’ai commencé à travailler une nouvelle version de L’heure de la sortie avant de tourner Irréprochable puis j’ai laissé infusé durant le montage de ce dernier. Ce fut une expérience intéressante qu’essayer de comprendre pourquoi cette histoire subsistait et m’obsédait encore quinze ans plus tard, sans avoir relu le bouquin. C’était un travail de souvenirs, de sensations, d’adaptation par rapport au monde dans lequel on vit désormais.
Je suis passionné par ce qui précède le passage à l’acte.
Vous avez pris certaines libertés par rapport au livre, comment s’est imposé à vous ce mélange des genres : thriller paranoïaque à la frontière du fantastique avec en fond la cause écologique ?
S. M. : Le livre avait quelque chose de fort : c’était à la fois une chronique scolaire (l’auteur était lui-même enseignant) avec un portrait de prof assez sociétal mais également des enfants nihilistes entre Houellebeck et Stephen King. Plusieurs atmosphères s’entrechoquaient. Je voulais l’adapter à la façon, porter mon regard. J’ai décidé de ne pas lâcher le regard de Pierre et, grâce à la direction artistique, d’accompagner son parcours et sa descente aux enfers. Ce n’était pas conçu de façon limpide mais ça s’est mis en place au montage : comment passer de genre en genre dans le film et comment on abandonne certains personnages au fil de l’intrigue. Je trouvais intéressant de faire ressentir physiquement l’état d’esprit du personnage de Laurent Lafitte. Du film d’horreur au fantastique.
C’est un peu un film somme des fantasmes de cinéaste que j’avais. Je ne me suis pas demandé si les films que j’ai envie de faire vont créer de l’angoisse ou de l’effroi. Je n’intellectualise pas vraiment mon cinéma. J’essaie de provoquer des sensations, comme avec mon précédent. J’aime tordre l’élastique jusqu’à ce qu’il craque. Je suis passionné par ce qui précède le passage à l’acte – la catastrophe, le meurtre. Ce n’est pas l’acte qui est passionnant mais ce qu’il se passe avant.
On vous imagine donc sensible à ces thématiques là… Et c’est très actuel, à l’heure des manifestations pour le climat, la révolte pour la justice sociale, la menace des attentats… Il est vrai que dans le réel comme dans votre fiction les menaces viennent de tous les côtés… Croyez-vous que, comme dans le film, ceux qui dirigent ne prennent pas leurs responsabilités ?
S. M. : Le film n’est pas très optimiste, c’est vrai. En même temps, ces gamins jusqu’au-bout-istes servent aussi de lanceurs d’alerte. On sait que si l’on n’agit pas d’un point de vue écologique, mais aussi social, on court vers quelque chose de dangereux. Cette prise de conscience se traduit actuellement. Si on ne réagit pas, on va à la catastrophe. Le film s’est nourri des discussions avec les adolescents qui jouent dans le film. Leur génération est plus consciente que la nôtre. Cela nous renvoie au visage le monde qu’on leur laisse. Il est temps de se relever les manches. Ce n’est pas que fataliste, il y a grâce à eux un certain optimisme de changement.
Il était intéressant de creuser comment la société peut engendrer des monstres par l’exclusion, le cloisonnement.
Vous reconnaissez-vous plutôt dans le côté voyeur et angoissé de Pierre ou davantage dans le pessimisme (voire le nihilisme) de ce groupe d’ados ?
S. M. (Il réfléchit) : Pierre est presque plus proche des enfants que du monde des adultes. Il se trouve dans un monde d’angoisses et de crispations. C’est une prise de conscience d’un personnage que j’ai toujours imaginé comme un voyeur. Il franchit plusieurs lignes rouges dans le film. Et à force de vouloir voir et savoir, il est confronté à une réalité électrisante mais assez paralysante.
La figure du voyeur est intéressante dans le sens où il fait face à ce que tout le monde refuse de voir. C’est le seul qui s’intéresse vraiment à eux. Le spectateur comprend que le film se déroule par son point de vue. Cela permet de jouer avec la notion de flou.
Selon les générations, la réception du film est très différente. Les 15-25 ans adhèrent complètement, ils se reconnaissent. La mienne et celle de mes parents paraissent plus tétanisées car le film les place face à leurs responsabilités. C’est pour cela que j’espère que la jeunesse française aura envie de voir « un film français de genre », c’est un de nos challenges.
Pourquoi ce choix d’une classe « test » de surdoués ?
S. M. : J’avais déjà senti cette notion d’élite dans le livre. Ayant grandi à La Courneuve et m’étant retrouvé en classe d’Allemand, cela créait déjà un peu un décalage par rapport au reste des élèves. Je me suis nourri de cela pour le film. Avec les élèves intellectuellement précoces, il existe une extrême sensibilité et une véritable conscience du monde. La singularité de ce groupe permet ensuite d’exacerber l’impression qu’il laisse.
En faire des « E.I.P » (Enfants Intellectuellement Précoces) me permettait juste d’apporter de l’efficacité à l’histoire, je n’ai pas de jugement par rapport à ce dispositif. Il était intéressant de creuser comment la société, avec l’exemple de ce proviseur, peut engendrer des monstres par l’exclusion, le cloisonnement.
Vous évoquez en creux la question du harcèlement et de la violence scolaire… C’était important pour vous ?
S. M. : Avec ces personnages à la marge, cela induit le harcèlement et la violence scolaire. Je n’ai personnellement pas eu une scolarité facile et cette ostracisation m’a marqué. On marginalise ceux qui sont différents. J’aimais l’opéra, je voulais faire du cinéma, je me sentais déjà « différent ». J’avais envie que le film, même s’il n’est pas naturaliste, reflète ce lieu de cristallisation des angoisses. Je souhaitais qu’il y ait des saillies de violences verbales ou psychologiques car cela fait également partie de ce qu’on laisse vivre aux enfants. Il en est de même avec le terrorisme qui est désormais intégré dans l’imaginaire des établissements scolaires avec les exercices attentat/intrusion. Cela n’existait pas à notre époque.
Cela créé une vraie perte d’innocence, c’est assez cynique car on brise quelque part ce sanctuaire…
S. M. : Oui, normalement l’école est un sanctuaire, un lieu de joie et d’apprentissages, mais celui-ci est violé par la triste réalité de notre monde. C’est hyper violent.
Comment s’est passée votre nouvelle collaboration avec Zombie Zombie ? Leur BO apporte une vraie coloration au film, tout comme le travail sur le son (où les sons, les notes et les bruits parasites se mêlent…).
S. M. : C’est la 2e fois que je travaille avec eux. Ils ont été intégrés bien plus tôt cette fois-ci. Ils savaient toute la place qu’il y avait pour la musique. Ils ont travaillé sur nos influences communes et de réfléchir en utilisant assez peu d’instruments organiques, de rester sur des éléments électros, de travailler sur des forces telluriques. Comment retranscrire une ambiance de canicule, d’éclair, de vent, dans leur partition sonore. Il ne fallait pas avoir peur de ces sons parasites. Travailler sur des décharges électriques. C’était presque opératique ce que je leur demandais, avec des thèmes qui se déploient.
Tout ça était mêlé avec le chef-op du son, qui était aussi le monteur son. Au final, on obtenait un mélange avec le sound design du monteur son et des créations des Zombie Zombie. Cela apporte une couche supplémentaire au film. On a tendance à oublier que le cinéma c’est aussi du son, pas seulement de l’image.