Michel Hazanavicius | Rencontre
À un mois de la sortie en salle de The Search, nous avons pu échanger avec le réalisateur Michel Hazanavicius lors d’un débat privé à l’issue de la projection du film. Nous vous proposons un compte-rendu de cet échange de presqu’une heure. Il sera notamment question du tournage, du casting, mais aussi de ses sources et inspirations, de la place des femmes, de l’absence de musique, de sa réception cannoise et du remontage du film qui s’en est suivi… Confidences.
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Le point de départ du film. « Avec les médias, nous sommes assaillis par la détresse, les guerres et les catastrophes à travers le monde. Toutes ces infos arrivent vers nous par le biais d’internet, de la télé, des journaux… si bien que l’on n’est plus vraiment touché, on se construit une sorte de carapace. L’idée du film était de revenir vers une forme d’empathie ».
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La Tchétchénie. Après s’être intéressé au génocide rwandais il y a plus de dix ans pour un documentaire, Michel Hazavanicius s’est penché sur le cas de la Tchétchénie au hasard des rencontres et des témoignages. Il retient un courrier, en particulier, d’un bénévole (dans un camp de réfugié) qui souhaitait que leur histoire soit racontée (par le biais de la fiction, pas d’un documentaire journaliste, pour que cela touche le plus grand nombre).
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Quel angle pour une fiction sur le conflit tchétchène ? Le cinéaste raconte qu’il a souhaité raconter cette histoire de façon romanesque, en réalisant un mélodrame à échelle humaine. C’était selon lui une bonne approche pour raconter et montrer en même temps le contexte politique et social.
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Le film est inspiré du film de Fred Zinnemann dont il reprend l’architecture, en ajoutant un quatrième personne, celui d’un soldat russe. Cet ajout a paru nécessaire à M. Hazanavicius, comme un contrepoids pour apporter un autre regard. Le destin du russe lui est arrivé au moment de l’écriture du scénario.
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La dureté de la guerre moderne. Le cinéaste souhaitait exposer le fait que désormais, dans les conflits modernes, ce sont principalement les civils qui sont les victimes (80% des morts sont des civils, contre 20% de militaires) alors que lors des deux guerres mondiales, la proportion était plutôt inverse.
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L’armée russe. Elle est réputée encore plus dure que ce qui est montré dans le film. Les cinéastes russes en montrent encore plus et les enquêtes parlent d’une grande quantité de suicides, d’humiliations et de mauvais traitements, de sévices corporelles… Le taux de mortalité hors-conflit chez les soldats russes est extrêmement élevé.
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La rôle des femmes dans le film. Selon M. Hazanivicius, il y a une très forte présence féminine sur place : des journalistes et reporters, des personnes de l’ONG et des associations, des médecins… Il lui parait évidente que cette présence féminine se ressente aussi à l’écran dans The Search.
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La présence de Bérénice Béjo et Annette Benning. Bérénice étant son épouse, elle a été impliquée dans le projet depuis sa genèse et il trouvait ça intéressant de transformer le personnage du jeune G.I en celui d’une bénévole de 38 ans. Quant à Annette Benning, il l’a choisie car c’est une actrice formidable, qu’il avait besoin d’un autre personnage occidental (même si ceux-ci ont été minimisés) et que sa présence lui assurait également un soutien plus sûr de la part de certains financiers.
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Le casting avec les comédiens tchétchènes et le petit garçon. Tous les acteurs tchétchènes jouant dans le film sont issus du monde du cinéma, hormis l’enfant. Celui-ci a été « trouvé » par le directeur de casting, qui a auditionné 450 enfants en allant à leur rencontre, à la sortie de l’école par exemple. Finalement, c’est Abdul Khalim Mamatsuiev qui a été retenu. Il s’est rapidement détaché car il porte sur son visage une certaine gravité, liée à l’histoire difficile qu’il a vécu sur le plan personnel. C’était d’ailleurs le plus à l’aise lors des essais et des exercices de répétition avant que le choix ne se confirme. Le tournage ne fut pas toujours facile pour lui (très long, 14 semaines) et il n’aimait pas danser, ce qui fut un problème pour une scène en particulier où il a fallu le pousser à bout pour qu’il se lâche totalement.
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Le financement, l’absence de musique. Non, pas particulièrement. L’Oscar a forcément beaucoup aimé à pouvoir réaliser ce fantasme de film qu’il avait. Mais dès le départ, la question du multilinguisme et de l’absence de musique étaient annoncées. Il fallait que les tchétchènes parlent leur langue, que les bénévoles parlent anglais et français… pour plus de réalisme. Je ne voulais pas y déroger. Quant à l’absence de musique, avec un tel sujet, il y a une pudeur nécessaire. Je refusais l’idée d’ajouter des violons ou quelques notes de piano pour laisser le libre arbitre au spectateur d’être ému ou pas. Le sujet est déjà assez fort comme ça sans qu’on ait besoin d’en rajouter.
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Les deux jeunes (enfants) : le soldat et l’orphelin. Ils ont une trajectoire diamétralement opposée avec cet enfant qui se déshumanise complètement par l’armée, tandis que le jeune orphelin retrouve progressivement goût à la vie après son traumatisme.
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Remontage du film après Cannes. Le film a été assez mal accueilli à Cannes et il lui a fallu prendre du recul pour prendre en compte les critiques négatives. Il trouvait qu’il y avait effectivement un peu de longueurs et surtout trop d’indignation dans le parcours de ses personnages. Cela mettait le spectateur à distance d’une certaine façon. En retirant cela, il a fallu ensuite retrouver un équilibre en rallongeant certains séquences par exemple.
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Le début et la fin. Après Cannes, Michel Hazanavicius a également choisi d’intervertir les deux dernières scènes avec le gamin et le jeune militaire. Il a également ajouté les cartons du début pour apporter quelques éléments de contexte politique à titre informatif.
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Ses inspirations et sources pour raconter la guerre en Tchétchénie. Le film de Fred Zinnemann, bien sûr. Beaucoup de témoignages et un livre d’Arkady Babchenko qui décrit la vie dans une caserne avec une vraie capacité d’analyse et un vrai talent d’écrivain. Il a puisé l’inspiration à travers les 13 récits sur la guerre de Tchétchénie et l’armée russe.
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Les deux jeunes (enfants) : le soldat et l’orphelin. Ils ont une trajectoire diamétralement opposée avec cet enfant qui se déshumanise complètement par l’armée, tandis que le jeune orphelin retrouve progressivement goût à la vie après son traumatisme.
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Le timing de la sortie (Poutine, l’Ukraine). La question lui a été régulièrement posée. Il navigue entre la naïve insouciance et la paranoïa. Toutefois, il ne pense pas que son film déstabilise particulièrement le pouvoir russe car Poutine n’en aura au final pas grand chose à faire d’un français qui fait un film sur la Tchétchénie.
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Sa filmographie et ses projets futurs. Il est conscient d’avoir une filmographie plutôt incohérente. Il a envie de faire un dessin-animé. Ce ne sera pas le prochain film mais qui sait à l’avenir… Sur la question d’OSS 3, il n’a répondu que d’un sourire malicieux qui en disait long… Il semblerait donc que le film soit en préparation…
[…] accueil décevant aurait au moins eu pour conséquence de renvoyer le cinéaste en salle de montage pour retravailler son film, coupant ou intervertissant certaines scènes pour leur donner plus de […]