MICHAEL SHANNON | Entretien
Nous avons rencontré le comédien Michael Shannon, venu présenter le film 99 Homes de Ramin Bahrani (reparti avec le Grand Prix de la 41e édition du festival de Deauville). L’occasion d’évoquer sa collaboration avec le réalisateur Ramin Bahrani…
Comment êtes-vous arrivé sur 99 Homes ?
Michael Shannon : Je souhaitais travailler avec Ramin (Bahrani – ndlr) depuis un moment. J’admirais son travail. Nous nous sommes rencontrés au festival de Venise il y a quelques années. Il m’a envoyé son scénario et j’ai trouvé qu’il était très bien écrit, qu’il nous racontait une histoire qui devait être racontée, qui aurait du être racontée bien avant. Ramin parvient à explorer l’humain au milieu de cette crise juridique. J’admirais sa vision. Je retravaillerais avec lui sans hésiter si cela se présentait. Il est tellement intelligent, préparé et réfléchi. Il souhaite réaliser un film qui parle de l’état du monde tout en proposant quelque chose de divertissant. C’est effrayant de réaliser un film comme ça, il n’y a pas de garantie d’y parvenir et que cela fonctionne.
Avez-vous l’impression que le film peut avoir du mal à atteindre son public, comme aux Etats-Unis où le film a été long à arriver en salle ou même en France où il ne sortira que début 2016 en e-cinema ?
M. S. : Je pense que s’il a mis du temps à sortir c’est aussi du fait que la compagnie qui a acheté le film est assez jeune. Ils sont encore en train de développer leur infrastructure et ils n’étaient pas prêts à sortir le film convenablement avant. Pour autant, Ramin a obtenu ses financements assez facilement.
Si l’on se focalise sur la relation entre Dennis et Rick, 99 Homes ressemble beaucoup à du Sidney Lumet. Le genre « social drama » fut très populaire dans les années 70-80. Les films sur l’injustice, l’attente de verdict, les sujets de société… Ce n’est pas quelque chose qu’il faut craindre. Au contraire, je crois qu’il en faudra beaucoup plus et qu’il serait souhaitable de ramener le genre au premier rang.
Votre personnage est un professionnel, méthodique et charismatique. C’est établi très rapidement. Pour vous, était-ce important que ce soit le cas ?
M. S. : Rick Carver n’était pas parti pour être un criminel. Il prend son métier très au sérieux et il a beaucoup d’expérience. C’est un monde très difficile, complexe. Toutes ces lois sont incompréhensibles et elles semblent faites pour l’être, afin d’intimider les gens. Ceux-ci ont confiance dans les banques pour qu’elles prennent soin de leurs biens pour eux, alors que celles-ci n’en ont pas intérêt.
Au final, Rick est surtout un hommage intelligent qui a compris comment fonctionne le système et comment en tirer profit. Quand je faisais des recherches pour le rôle, les gens ne percevaient pas Rick autrement que comme quelqu’un qui fait son boulot. Expulser quelqu’un de son domicile est quelque chose de déplaisant mais il faut bien que quelqu’un s’en charge. Son activité n’est pas illégale. Celle qui ne respecte pas la loi est même plutôt celle qui s’endette et se retrouve dans cette situation…
Certains pourront penser que Rick est un connard, d’autres pourront le comprendre.
Comment avez-vous appréhendé ce personnage ambivalent ? Et quelle fut votre perception vis à vis de ce sujet social fort ?
M. S. : À titre personnel, je ne me sentais pas forcément concerné. Je suis tellement suspicieux vis à vis de ce monde que je m’en tiens éloigné. L’immobilier n’est pas quelque chose à quoi je m’attache, un peu comme lorsque Rick Carver répète « Don’t get sentimental with real estate » (« Ne devenez pas sentimental quand il s’agit d’immobilier« ). Je ne peux qu’acquieser. Pour moi, il y a tellement plus important que l’immobilier. Cependant, je peux comprendre que les gens soient attachés à la maison dans laquelle ils ont grandi ou ont construit leur famille. Cela a quelque chose d’horrifiant. Ce rôle était un challenge car c’est un monde qui m’est étranger.
Qu’en est-il d’Andrew Garfield ?
M. S. : Nous n’avons pas passé énormément de temps ensemble, nous préférions rester distants. Cela aurait été trop étrange. Il était impliqué, il est beaucoup resté dans son rôle. Ce n’est pas le genre d’acteur qui sort faire la fête après le tournage…
Rick Carver est un cynique. Pourtant, le film est fait de façon à ce qu’il ne paraisse pas pleinement antipathique.
M. S. : Certains le détesteront, d’autres pas. Certains penseront que c’est un c*nnard, d’autres pourront comprendre d’où il vient. Il dit beaucoup de choses dans le film qui font sens pour moi. Les banques sont terribles, le gouvernement a beaucoup raté de choses. Mais il y a aussi beaucoup de responsabilité personnelle. Les gens, aux Etats-Unis, ont la fâcheuse tendance à dépenser l’argent qu’ils n’ont pas pour acheter des choses dont ils n’ont pas vraiment besoin.
La seule personne qui n’est pas responsable personnellement est Rick Carver. Il n’a pas contracté ce prêt, il n’est pas celui qui n’a pas soldé les mensualités. Il est juste là pour informer l’occupant que la maison ne leur appartient plus. Et s’il ne le faisait pas, un autre s’en chargerait. Dennis (le personnage d’Andrew Garfield – ndlr) finit même par en faire de même. Au début, cela lui brise le coeur, puis il comprend qu’on a beau les prévenir, cela ne change rien…
Rick cherche-t-il une porte de sortie en passant le flambeau à Dennis ?
M. S. : Rick pourrait aisément se passer d’expulser des gens pour le reste de sa vie… Il déteste ça. J’espère qu’on le sent. Quand il expulse Dennis, il ne prend aucun plaisir. Il trouve ça horrible. Mais il faut bien quelqu’un pour le faire.
Qui a eu l’idée que Rick fume des e-cigarettes ?
P. C. : Ce fut une proposition que Ramin m’a faite. Il ne m’y a pas obligé. Mais je trouvais que cela faisait sens. Certaines personnes penseront que Rick est engourdi, qu’il ne ressent plus grand chose et qu’il est sans pitié. Selon moi, il ressent beaucoup de choses et il les garde à l’intérieur. Ainsi, la vapeur de la e-cigarette rappelle d’une certaine façon une machine dont le moteur est en train de casser… Je l’ai vu de cette façon, cette métaphore me plaisait…