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EMILY BEECHAM | Entretien

À quelques jours de la sortie du film Daphné dont elle tient le rôle éponyme, l’actrice britannique Emily Beecham nous a accordé un long entretien. L’occasion d’évoquer ce personnage complexe, éloigné des clichés habituels, utilisant le cynisme comme un bouclier pour masquer sa fragilité et son insécurité. Un échange où il est question de féminisme, de Londres, de Tilda Swinton et Gillian Jacobs, de gros pulls en laine et de potentielles retrouvailles avec Daphné… 


À quel point avez-vous contribué à l’écriture de votre personnage ? Daphné comporte-t-elle quelques éléments personnels ?

Emily Beecham : J’aimerais beaucoup tirer la couverture à moi mais très peu, en fait. C’est un personnage imaginé par Peter et Nico (le réalisateur et le scénariste du film – ndlr). Cependant, Peter et moi en avons énormément discuté en amont. Nous nous connaissons depuis longtemps, bien avant ce film. Nous avons continué de la façonner… Il y a donc certainement des éléments personnels. Mais au final, c’est un personnage auquel il est très facile de s’identifier.

Je me suis sentie rapidement proche d’elle et de nombreuses personnes autour de moi ont reconnu en Daphné leur sœur, leur amie ou leur cousine… C’est un personnage très proche de la réalité et pourtant on n’en voit très peu au cinema. J’ai aimé que ce personnage soit aussi acerbe, piquante et vulnérable. J’ai aimé ses qualités et ses traits de caractère. Pour une fois que l’on voit un protagoniste féminin aussi intéressant à l’écran, c’était une opportunité que je ne voulais pas rater ! Peter écrit de formidables rôles féminins. Il ne souhaite pas faire de choix pour un personnage qui ne paraissent pas juste ou véridique. Il ne cherche pas à se trahir pour le divertissement.

Pour ce qui est de son histoire, vivant moi-même à Londres, j’ai une expérience assez proche de celle de Daphné. C’est une ville qui peut être rude, et peut parfois vous surprendre par sa bonté. Comme dans le film.  Et si vous restez déconnecté des autres à Londres, vous risquez très fortement de vous sentir incroyablement seul.

Je suis fatiguée des productions où l’on impose aux personnages féminins d’être très sexualisés, apprêtés, alors que les femmes aiment aussi se sentir bien dans un gros pull large et douillet.

Nous avons vu en Daphné un hymne féministe, avec un girl power à mi-chemin entre la rage anti-patriarcale des Riot girls et le « sex positive » des Spice Girls…

E. B. : Je suis complètement d’accord ! C’est un personnage assez unisexe. Ce n’est pas souvent le cas. Lors ce que nous faisions le film, nous n’étions pas enfermés dans des problèmes uniquement « féminins ». Mes copines et moi ne passons pas notre temps à parler de maquillage, d’épilation et de menstruations… Daphné aurait pu être un homme, cela n’aurait rien changé à ses questionnements existentiels. Elle est intelligente, vulnérable et compliquée. Et il s’avère que c’est une femme. Les personnages féminins devraient être traités plus souvent de cette sorte.

Ce n’est malheureusement pas ce qui domine au cinéma, notamment du fait de la prédominance de la pop-culture. Quel rôle joue-t-elle, selon vous, dans la construction de la femme et de sa représentation à l’écran ?

E. B. : La pop culture a parfois tendance à réduire la femme à un simple faire-valoir superficiel. Comme cela est explicité dans Daphné, il y a cette pression sociale sous-jacente et pourtant très ancrée : il faut que la femme soit glamour et attirante, tant physiquement que dans sa personnalité. Dans les médias, les clips musicaux, la publicité, les femmes à l’écran sont toujours séduisantes et très lookées. Ce n’est qu’une première couche sociétale mais derrière il y a quelque chose que je trouve très misogyne.

En quelque sorte, avec Daphné, Peter Mackie Burns déroule un manifeste entre les injonctions sociétales et le sexisme bienveillant. Quel chemin reste-t-il à parcourir dans ce combat quotidien ?

E. B. : Je suis fatiguée des productions où l’on impose aux personnages féminins d’être très sexualisés, apprêtés, alors que les femmes aiment aussi se sentir bien dans un gros pull large et douillet. J’étais ravie de pouvoir jouer un personnage qui ne porte pas de maquillage à chaque seconde, de laisser apparaître mes cils pales. Au final, je ne crois pas que ce soit ce qui importe le plus aux spectateurs. Tilda Swinton fait des choses formidables en restant toujours naturelle et personne ne s’arrête à son apparence. Tout le monde ne parle que de son interprétation. C’est l’orientation que je souhaite donner à ma carrière désormais. Du fait de mon âge, on ne m’a pas énormément proposé de rôles sexy ceci dit, j’étais déjà presque dépassée quand j’ai débuté… (rires)

Tilda Swinton est votre modèle ?

Oui. Mais il y en a d’autres. Naomi Klein, Amy Schumer, Greta Gerwig, Lena Dunham… et j’en passe. C’est très positif car des séries comme Fleabag et Girls ont permis de mettre en avant davantage des personnages féminins plus naturels et ses auteures ont obtenu le succès mérité. Cela va encourager la créativité, rassurer les financiers pas toujours prompts à soutenir des productions plus véridiques.

Aimeriez-vous retrouver le personnage de Daphné dans quelques années ? Un tel personnage mériterait une suite ou même une série télé…

E. B. : The bureau (la boîte de production du film – ndlr) commence à en parler. Ils étudient la possibilité de développer une série télé autour de Daphné, qui se déroulerait avant ou après le film. Quand on voit que des séries comme LOVE sur Netflix marche aussi bien avec un personnage féminin comme celui de Gillian Jacobs, cela donne des idées !

On ne peut qu’aller dans votre sens. Et Daphné a tout pour être une formidable héroïne moderne de séries télé…

E. B. : Je compte sur vous pour le dire haut et fort pour leur donner envie ! C’est quelque chose qui me tenterait beaucoup ! Croisons les doigts.

Propos recueillis, traduits et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir. Avril 2018.

Remerciements : Emily Beecham, Sophie Bataille, Charline C.



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