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VOUS NE DÉSIREZ QUE MOI

En octobre 1982, Yann Andrea a demandé à Michèle Manceaux de l’interviewer. Il est le compagnon de Marguerite Duras depuis deux ans, il a 38 ans de moins qu’elle, et Michèle, journaliste et écrivain est une complice et une voisine de Marguerite. Ils se retrouvent au premier étage de la maison de Neauphle et la première phrase de Yann est « je voudrais parler de Duras ». Oui, il voudrait y voir un peu plus clair : l’intensité de sa relation passionnelle avec l’écrivaine ne lui laisse plus aucune liberté. Au cours de ces deux séances d’entretien, il essaie, avec la complicité de Michèle Manceaux, de comprendre ce qu’il vit, de savoir comment sauver sa peau, et de continuer à aimer Marguerite.

Critique du film

Elle introduit la cassette dans l’enregistreur. Elle s’apprête à lancer l’enregistrement. La cassette. L’enregistreur. La cassette trouve sa place dans l’enregistreur. Le micro est installé, elle va enregistrer. Elle appuie sur le bouton. Elle l’écoute parler. Toute entière. Il parle et elle l’écoute. Elle lui demande de parler, elle veut tout entendre. Elle le dispute presque, il doit parler. Il parle. Il se confie. Les bandes de de la cassette tournent. Il parle, il est enregistré.

L’idée est singulière : mettre en images un entretien entre Yann Andréa, dernier compagnon de Marguerite Duras, et Michèle Manceaux, journaliste et amie de l’auteure. Si la réalisation n’était pas aussi soignée, Vous ne désirez que moi passerait pour un entretien filmé. Quatre vingt quinze minutes durant, Claire Simon, Swann Arlaud et Emmanuelle Devos forment un trio fascinant. Le film frôle parfois le soliloque, le titre du livre – Je voudrais vous parler de Duras, « je » étant Yann Andréa – annonçant la couleur. Monologue, en fait introspection.

Sous les traits de Swann Arlaud, Yann Andréa déroule son histoire. Sa fascination à la limite de l’obsession pour Duras alors qu’il est encore étudiant à Caen. Leur rencontre, leur relation, ses travers. Sa toxicité et la souffrance. Les acteurs se fondent dans le texte du roman, retravaillé au minimum. Claire Simon confie ne pas avoir cherché à écouter les cassettes. La réalisatrice filme la douceur d’un dialogue terrible, son naturel aussi. Il y a une forme d’urgence : Andréa a accepté de se confier mais remet en question sa décision à chaque nouvelle phrase.

Il a la trentaine et vient de tenter de mettre fin à ses jours. Swann Arlaud semble prêt à imploser à chaque instant ; après Grâce à Dieu, il interprète à nouveau la souffrance d’un être bien réel. Il parle de Duras et de comment il s’est effacé dans leur relation. Devos/Manceaux écoute, l’interroge et recadre parfois l’entretien. Dans la tépidité de l’automne de 1982, la journaliste et l’amant discutent devant une fenêtre qui les sépare du monde. Le jour tombe et on se rend compte que les séquences sont longues, que les prises ont duré pour trouver une certaine vérité.

La réalisatrice, enfin, a le génie d’alerter sur la présence de Duras. Les entretiens se font chez elle, après tout. Coups de téléphone impromptus, pas lourds au rez-de-chaussée : son ombre plane. Elle n’apprécie guère que l’on soit en train de parler d’elle.

Bande-annonce

9 février 2022De Claire Simon, avec Swann Arlaud, Emmanuelle Devos et Christophe Paou.




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