SOUNDTRACK TO A COUP D’ÉTAT
Jazz, politique et décolonisation s’entremêlent dans ce grand huit historique qui révèle un incroyable épisode de la guerre froide. En 1961, la chanteuse Abbey Lincoln et le batteur Max Roach, militants des droits civiques et figures du jazz, interrompent une session du Conseil de sécurité de l’ONU pour protester contre l’assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo nouvellement indépendant. Dans ce pays en proie à la guerre civile, les sous-sols, riches en uranium, attisent les ingérences occidentales. L’ONU devient alors l’arène d’un bras de fer géopolitique majeur et Louis Armstrong, nommé “Ambassadeur du Jazz », est envoyé en mission au Congo par les États-Unis, pour détourner l’attention du coup d’État soutenu par la CIA…
Critique du film
Tonitruant et enthousiasmant, Soundtrack to a Coup d’État résume dans un carambolage d’images, de textes et de sons, quelques mois qui ont vu le Congo belge accéder à l’indépendance puis succomber aux convoitises.
C’est par un solo de batterie que s’ouvre ce livre d’Histoire, comme on bat le tambour pour rassembler la foule. En 1961, Max Roach et Abbey Lincoln accompagnés d’une soixantaine de militants des droits civiques et figures du jazz, interrompent une session du Conseil de sécurité de l’ONU pour protester contre l’assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo nouvellement indépendant. Politique, musique, négritude, mercenaires, minerais, diplomatie, droits de l’homme, ce moment a contenu tous les ingrédients d’une formidable page d’Histoire dont le film reconstitue la mosaïque. Encore fallait-il trouver la forme pour rendre compte à la fois d’une effervescence et d’un mirage, d’une chronologie et d’un chaos. Saturé d’informations, l’écran alterne images d’archives, extraits musicaux et citations contextuelles tirées de journaux, de livres ou d’entretiens sans jamais (mis à part deux suspensions dont une très inspirée à l’occasion du discours d’investiture de Patrice Lumumba) perdre son rythme de cheval au galop. Le choix d’une narration éclatée mais précise gagne en compréhension ce qu’elle perd en sobriété.
Johan Grimonprez aurait pu sans doute faire l’économie de quelques afféteries et d’une longue introduction similaire à une bande annonce mais rapidement le travail de documentation impressionne, la durée du film permettant de déployer une somme de sources aussi pertinentes qu’hétérogènes. La grande réussite du film, au-delà de son récit bigarré, se situe dans l’exceptionnel travail entre l’image et le son. Le célèbre martèlement de Nikita Khrouchtchev à la tribune de l’ONU bat la mesure d’une syncope jazzy, un exemple parmi d’autres pour figurer la place du jazz dans l’époque et aussi son instrumentalisation par la politique.

© Robert Lebeck
L’année 1960 est ici réécrite à l’aune des interpénétrations et influences entre politique et musique avec, pour centre névralgique, la situation du Congo belge, propriété du roi Baudoin qui n’a alors jamais cru bon d’en fouler le sol. Le lent et profond mouvement de décolonisation, l’accès à l’indépendance, l’avènement de Patrice Lumumba à la tête du gouvernement démocratique mais surtout les richesses minières de la région du Katanga font de ce pays l’objet d’une attention aiguë de toutes parts. Les diplomaties oeuvrent à préserver leurs intérêts suprêmes, l’accès à l’uranium en premier lieu. Dans ce jeu à multiples bandes, les musiciens de jazz décochent des notes de liberté que les hommes d’État convertissent en notes de frais. Louis Armstrong est nommé ambassadeur du jazz, il se rend à Accra en 1956 puis au Congo en 1960, sa visite permettant de couvrir la sale petite musique des barbouzes.
Dizzy Gillespie de son côté, présentera sa candidature à la présidence des États-Unis d’Amérique avec pour projet, fantaisiste, de renommer la Maison blanche, The Blues House. Le voyage de Nina Simone au Nigéria en 1961 aurait aussi été piloté par la CIA. Malcom X, lui, soutient Lumumba comme porte-étendard de la défense des droits de l’homme. Plus globalement, les équilibres mondiaux, dans la foulée des indépendances africaines, se redessinent entre inquiétude et espoir. Par la fragmentation et le collage, avec toutes les frustrations et tous les raccourcis que la méthode cultive, Johan Grimonprez écrit sa propre partition. Taper du pied et claquer des doigts en ouvrant un manuel d’Histoire, l’expérience est profitable.






