PEACOCK
Besoin d’un petit ami cultivé pour impressionner votre entourage ? D’un fils parfait pour forcer l’admiration de vos clients ? D’un répétiteur pour vous préparer à une dispute conjugale ? Louez Matthias, un maître dans sa profession, excellant chaque jour à se faire passer pour une personne différente ! Mais quand Matthias doit être lui-même, le véritable défi commence…
Critique du film
Peacock – le paon, cet animal qui aime à faire la roue – est le premier long-métrage de Bernhard Wenger. Après plusieurs court, l’Autrichien signe une comédie fine et profonde qui met en scène un homme vendant ses services par l’intermédiaire d’une agence proposant des « acteurs » à louer, non pas pour le théâtre ou le cinéma, mais pour répondre à des besoins bien réels et concrets : vous cherchez à présenter votre compagnon à vos parents qui vous pressent de questions, alors que vous êtes célibataire ? L’agence vous fournit un employé pour tenir le rôle. Vous souhaitez être accompagné par un jeune homme cultivé à un concert de musique expérimentale ? L’acteur aura appris son texte et se montrera d’une érudition sans faille.
Matthias fait partie des meilleurs éléments de l’agence. Il excelle en toutes circonstances. Dans sa vie personnelle, il habite une belle maison, sa femme est belle, intelligente, sensible. Dans cet univers règne un parfum de perfection – ou plutôt une forme d’asepsie. Matthias ne s’énerve jamais, ne hausse pas la voix, ne se comporte jamais de manière incongrue ou déplacée. Jusqu’au jour où cet édifice si solide en apparence commence à se fissurer.
Le titre original, Peacock, bin ich echt (« Peacock, suis-je réel ? »), résume à lui seul le questionnement central : à force de vouloir plaire à tout le monde, Matthias ne risque-t-il pas de perdre son identité ? Bernhard Wenger signe une comédie féroce et cinglante, mais jamais vulgaire ni gratuite. Égratignant au passage les thérapies alternatives, un certain art contemporain, le snobisme, l’hypocrisie et le regard inquisiteur d’une société obsédée par l’image, le réalisateur compose une mise en scène élégante, soutenue par des plans d’une grande précision visuelle.

Matthias veut sans doute bien faire, mais il a pris l’habitude de simuler, de mentir. Sa vie se lézarde, la vacuité apparaît derrière la perfection fabriquée de toutes pièces. Il évolue dans un monde où tout devient spectacle, jusqu’à voir un tonnerre d’applaudissements saluer une simple démonstration de la méthode Heimlich sur un candidat désireux d’intégrer l’agence. Matthias est devenu un séducteur au mauvais sens du terme : un menteur, un manipulateur — peut-être même malgré lui.
Peacock pourrait déprimer par sa vision d’un monde moderne viscéralement attaché au virtuel, aux apparences, où les individus sont paradoxalement de plus en plus seuls, malgré les réseaux, les clubs et les applications censés les rapprocher. Mais si une certaine mélancolie traverse le film, l’empathie et la possibilité d’un « réveil » demeurent.
Ce premier long-métrage, porté par Albrecht Schuch dans un rôle principal tout en subtilité, et soutenu par Julia Franz Richter et Theresa Frostad Eggesbo, offre aussi des moments très drôles, notamment lorsque Matthias commence à craquer et ne parvient plus à « jouer ». Présenté dans plusieurs festivals, Peacock a remporté le Prix du Public aux Arcs Film Festival en 2024.






