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LOIN DE LA FOULE DÉCHAINÉE

Au décès de son oncle, Batsheba Everdeene, jeune femme au tempérament libre et imprévisible, récupère la ferme familiale et se voit contrainte d’en accepter l’héritage. A l’orée de ses premiers émois, elle fait le serment de n’épouser qu’un homme qui saura l’aimer et l’accompagner dans son désir d’autonomie. A contre-courant des conventions du XIXème siècle, elle voit ses amours remises en question à chaque nouvelle rencontre.

Itinéraire d’une jeune femme

En dépit des précédents sujets abordés dans ses films les plus sombres (Festen, La Chasse), Thomas Vinterberg se révèle comme étant un monstre de sensibilité, évoluant à l’instinct, à la lecture, et développant cet attrait complexe pour la psychologie humaine, fil conducteur de sa volonté scénaristique jusque lors. Le choix de l’adaptation du roman de Thomas Hardy paru en 1874 relève du coup de cœur, et de la volonté de mettre en scène le parcours d’une jeune femme vers la maturité et l’indépendance sentimentale, à une époque où, de sentiments, il n’est pas tellement question dans un mariage.

Nous suivons le quotidien de Batsheba, incarnée par Carey Mulligan. Visage espiègle, voile de mystère opaque, l’actrice s’approprie autant qu’elle peut la véritable torture que fait naître chez son personnage l’idée de l’union matrimoniale. Emprisonnée dans un conflit intérieur permanent, elle donne à voir l’image désolante d’un pauvre animal déchaîné, carburant à l’instinct de survie, portant en elle la certitude qu’un avenir en solitaire est possible, tout en désirant de toute son âme tomber amoureuse dignement. 

Evoluant à la façon d’un conte initiatique, l’histoire place trois hommes sur le chemin de la jeune fermière, aux profils très divers, ayant en commun ce désir éperdu vis-à-vis de Batsheba. Chacun a quelque chose à lui apporter, aucun ne peut apaiser le répulsif qu’elle leur jette au visage, cette potion de non-amour destinée à les persuader qu’elle n’est pas une femme comme les autres, une femme de son temps. En berger attentionné et sensible, Matthias Schoenaerts alias Gabriel remporte le prix de crédibilité. Des trois, c’est lui qui intrigue le plus, qui tisse les liens les plus empathiques. Les soupçons de stéréotypes vont bon train hormis ces instants de respiration qui apportent un peu de profondeur au déroulement de l’histoire.

Le film soulève une critique virulente du mariage à une époque où il est perçu comme un renoncement à sa liberté individuelle, où il est principalement synonyme de dévotion de la part d’une femme envers son époux. Dans le contexte de l’écriture du roman, Loin de la foule déchaînée présente alors un réel potentiel. Poussée à son extrême, la prise de position de l’héroïne ne paraît pourtant pas tranquille, pas consciemment acceptée et nous la voyons trépigner, d’une scène à l’autre, sans que le montage ne vienne adoucir cette succession de tableaux légèrement répétitifs.

Par une narration rigoureusement fidèle au roman, rendant la mise en scène dommageable malgré une esthétique attrayante et des décors admirablement filmés, témoignant d’un naturalisme séduisant, l’histoire de Batsheba s’essouffle doucement, restant à la surface de questionnements pertinents. A ne pas prendre de décision claire, l’on valide finalement l’attente du prince charmant : c’est ce triste constat, comme une aventure avortée, celle de l’indépendance, qui subsiste. L’Angleterre victorienne d’Hardy aura raison du long-métrage de Vinterberg, comme un potentiel féministe resté coincé dans l’embrasure de la porte, en dépit d’une beauté de reconstitution indéniable. 



#LBDM10ANS




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