L’HOMME BLESSÉ
Henri, adolescent, s’ennuie. Accompagnant sa sœur à la gare, il rencontre Jean, qui le pousse à commettre un acte de violence sur un inconnu. Immédiatement, il éprouve une immense passion pour cet homme qu’il décide de suivre.
Critique du film
L’Homme blessé de Patrice Chéreau est sorti en 1983, quelques mois seulement après la promulgation de la loi Forni dépénalisant le « délit d’homosexualité » instauré sous le régime de Vichy. C’est aussi une période qui précède de peu les terribles années du sida. Tourné entre Judith Therpauve et Hôtel de France, ce film d’une grande noirceur, empreint de désespoir et de mal de vivre, se déroule principalement dans une gare – ou dans ses toilettes –, ainsi que dans des chambres d’hôtels et appartements miteux. Coécrit avec Hervé Guibert, écrivain, journaliste et photographe décédé du sida à 36 ans, ce long métrage doit beaucoup à cet artiste, auteur du célèbre À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, lui-même influencé par Bernard-Marie Koltès, collaborateur régulier de Chéreau au théâtre.
Henri, interprété par Jean-Hugues Anglade dans l’un de ses premiers grands rôles, accompagne avec ses parents sa sœur à la gare. Là, il se sent observé de façon insistante par un homme d’âge mûr (Roland Bertin). Il rencontre aussi Jean – incarné par l’acteur italien Vittorio Mezzogiorno –, un jeune homme fruste et brutal qu’il surprend dans les toilettes en train de frapper violemment un inconnu, avant de le contraindre à participer à l’agression. Henri tombe alors sous la coupe de Jean et finit par se prostituer.
Œuvre dure, inconfortable et dérangeante, L’Homme blessé convoque autant les univers de Rainer Werner Fassbinder – on y retrouve d’ailleurs Armin Mueller-Stahl, acteur fétiche du cinéaste allemand – que celui de Jean Genet. Henri vit dans un milieu familial étouffant, où le dialogue semble absent, notamment entre le père et le fils. Le film explore la violence des rapports humains, jusqu’à cette réplique glaçante de Jean : « La haine, il n’y a que ça qui peut te sauver. » La scène d’amour tarifé entre Henri et un client (Claude Berri) dans une chambre d’hôtel sordide illustre la brutalité et la détresse qui traversent le film. La photographie de Renato Berta, baignée de lumière blafarde, accentue la noirceur d’un récit dominé par la nuit et la dépression.
L’Homme blessé demeure une œuvre radicale, à laquelle on peut ne pas adhérer, mais dont on ne peut nier la puissance, la singularité et la recherche d’une vérité brute, aussi dérangeante que bouleversante. Comme chez les auteurs qui ont inspiré Chéreau – Guibert, Koltès, Genet –, il se dégage de cet univers d’errance, de trahison et de violence une étrange poésie.
5 novembre 2025 (ressortie) – De Patrice Chéreau






