featured_les-intranquilles

LES INTRANQUILLES

Un couple avec un enfant voit leur vie commune être affectée par la bipolarité d’un des deux parents.

Critique du film

C’est dans une régularité sans failles, un film tous les deux ou trois ans, que s’est creusé le sillon du cinéaste belge Joachim Lafosse. C’est au sein de la famille qu’il construit la plupart de ses histoires, avec des coups d’éclat très remarqués, comme A perdre la raison, en 2012, ou L’économie du couple, en 2016. La recette est bien souvent la même : ausculter une structure familiale a priori stable, en déceler les failles, les agrandir et les révéler nues, jusqu’à la destruction presque programmée. En compétition officielle au 74ème festival de Cannes, Les intranquilles reprend ces éléments autour de la maladie mentale dont est frappé un père de famille, l’empêchant de fonctionner.

Damien Bonnard et Leïla Bekhti jouent un couple, lui peintre, elle restauratrice de meubles anciens, qui élève leur fils Amine tout en se plongeant avec passion dans leur métier respectif. La première longue scène du film expose toute la problématique de cette famille, véritable château de cartes menaçant de s’effondrer à chaque instant. Damien est pris dans une frénésie maniaque, fuite en avant qu’il n’arrive pas à stopper. Cette succession d’événements est éreintante ; nous suivons l’activité ininterrompue de cet homme qui ne dort plus, ne s’arrête plus, jusqu’à sombrer et se retrouver en hôpital psychiatrique. Sa maladie met du temps à être nommée, la bipolarité, et pourtant on comprend vite les enjeux et les dessous de celle-ci.

Peintre, Damien a besoin d’être mis sous pression, de travailler dans l’urgence, beaucoup, tard la nuit, souvent sans s’arrêter pour dormir. Joachim Lafosse raconte en plusieurs étapes comment cette vie dissout peu à peu chacun des membres de l’intrigue, devenant incapable de fonctionner, de mener leur quotidien. D’une situation idyllique au bord de la mer se dévoile le fait que nous sommes déjà dans un dernier acte d’une histoire bien abimée. Chaque ami, parent, connaît la situation et s’inquiète d’une éventuelle rechute, inévitable, d’un homme qui refuse de prendre son traitement, effrayant jusqu’à son fils, pris au milieu d’une tempête qu’il ne comprend pas.

À perdre la raison

La tension est l’élément qui cimente toute l’histoire, ne relâchant jamais son étreinte, étouffante. Là où on pouvait dans certains de ses précédents films ressentir des variations de tons, des scènes de joie coupant les moments difficiles, dans Les intranquilles, Joachim Lafosse ne fait jamais retomber son rythme. Le personnage de Damien contamine l’espace dans une inquiétude flottante visible en premier lieu dans les yeux et le corps de Leïla, complètement épuisée, n’arrivant plus à lui faire confiance jusqu’à elle même développer ce qui pourrait passer pour de la paranoïa.

Ce ne sont plus des corps qu’on scrute ici, ce ne sont plus que des cendres, presque déjà refroidies tellement le feu s’est déjà consumé en amont de ce qui est raconté. L’amour du couple s’en est allé, dilué dans beaucoup trop de souffrances et de moments impossibles à gérer. Ce crépuscule des amours d’un couple qui s’est aimé et à fonder des projets forts ensemble est en cela déchirant. L’élément qui les détruit, comme souvent dans la filmographie de Lafosse, est extérieur à leurs sentiments propres. La fureur de ces épisodes maniaques montrés par la caméra est presque un élément d’épouvante. Ce que la mise en scène arrive à créer crescendo est assez exceptionnel de minutie et d’application dans la construction des séquences.

Il faut saluer les performances des acteurs du film qui ont porté très fort un sujet et une exigence de jeu très complexes. Joachim Lafosse réussit au delà de ses intentions, ancrant de plus son récit dans l’actualité de la pandémie, Les intranquilles étant l’un des premiers films de fiction qui inclut les masques et ses problématiques au cœur de l’histoire. C’est une pierre de taille et de qualité ajoutée par le cinéaste belge dans une filmographie qui abrite déjà une bien belle maison fondée sur des fondations solides.

Bande-annonce

29 septembre 2021 – De Joachim Lafosse, avec Leïla BekhtiDamien Bonnard