L’AGENT SECRET
Brésil, 1977. Marcelo, un homme d’une quarantaine d’années fuyant un passé trouble, arrive dans la ville de Recife où le carnaval bat son plein. Il vient retrouver son jeune fils et espère y construire une nouvelle vie. C’est sans compter sur les menaces de mort qui rôdent et planent au-dessus de sa tête…
Critique du film
L’une des rares sensations de la 78ème édition du Festival de Cannes, L’Agent Secret de Kleber Mendonça Filho, distingué pour les prix de la Mise en scène et celui d’interprétation pour Wagner Moura, déploie une puissance formelle rare. Un film ample, débordant d’images fortes, qui interroge le passé du Brésil par la fiction.
Dès son ouverture — une station-service désertée, un cadavre, l’indifférence violente des autorités — le décor est planté : la dictature imprègne chaque recoin du récit. Pendant deux heures quarante, Mendonça Filho confronte ce traumatisme par les outils du cinéma, mêlant épouvante et thriller d’espionnage pour mieux transcender la réalité.
En racontant l’histoire de cet homme qui revient à Recife, le cinéaste compose un monde où « tout est cinéma ». L’arrivée stylisée de tueurs à gages sur Donna Summer en est l’exemple parfait : la fiction sublime l’ordinaire, même quand celui-ci est menacé. Thriller politique galvanisant, le film célèbre aussi l’énergie collective d’une communauté marginalisée mais joyeuse, réunie autour de Donna Sebastian. Ces moments suspendus, généreusement étirés, offrent un contrepoint émotionnel précieux.

Porté par ses musiques populaires et le magnétisme de Wagner Moura, L’Agent Secret accumule les signes de mise en scène avec un groove souverain. Mendonça Filho ne s’abandonne pas à la nostalgie : il regarde son pays avec empathie, et laisse surgir le présent par petites touches, notamment via des cassettes numérisées qui relient soudain passé et contemporanéité. L’image se refroidit, le temps se plisse : le cinéma devient alors mémoire active, faisant résonner les disparus dans un Brésil encore hanté par d’autres formes d’autoritarisme.
Au-delà du récit, L’Agent Secret réfléchit à la puissance — et au danger — des images. À travers ses références horrifiques ou l’usage détourné de Morricone, le film montre comment le fantasme visuel peut révéler les violences réelles… ou les dissimuler. L’apparition surréaliste d’une « jambe poilue » s’en prenant à une jeunesse queer symbolise cette brutalité institutionnelle jamais dite. Le montage fragmenté, quasi labyrinthique, reproduit le brouillage entretenu par le pouvoir.
La lettre d’amour de Mendonça Filho au cinéma tient dans cette capacité à produire des images qui réparent autant qu’elles alertent. En sondant le passé, L’Agent Secret nourrit une réflexion urgente sur notre présent — à la manière de Valeur sentimentale de Joachim Trier — et rappelle que l’euphorie d’une image fictive n’est jamais innocente.






