JE TREMBLE, Ô MATADOR
Chili, 1986, en pleine dictature de Pinochet. Par amour pour un révolutionnaire idéaliste qu’il vient de rencontrer, un travesti sur le déclin accepte de cacher des documents secrets chez lui. Ils s’engagent tous deux dans une opération clandestine à haut risque.
Critique du film
Adapté d’un livre de Pedro Lemebel, auteur et artiste plasticien chilien connu pour son irrévérence et sa vision de la vie chilienne vue à travers le prisme d’une certaine marginalité, Je tremble, ô matador tisse autour de la rencontre de deux hommes que tout oppose en apparence une histoire émouvante.
Alfredo Castro, comédien de théâtre et de cinéma plusieurs fois récompensé nous offre une prestation remarquable et bouleversante dans le rôle d’un travesti qui va croiser le chemin d’un activiste révolutionnaire – Leonardo Ortizgris – qui va le solliciter ou peut-être se servir de lui. Son personnage à la fois attachant, attendrissant mais également haut en couleurs, est peut-être plus courageux qu’un révolutionnaire, malgré ses mœurs que tout le monde semble rejeter. Car si la dictature de Pinochet n’accorde que peu de place et de considération aux marginaux, à ceux qui sont différents, qu’en est-il de ces fameux révolutionnaires qui veulent tout changer ? Sont-ils plus tolérants ? Plus aimants et respectueux envers ceux qui défient la morale ou s’écartent de la norme ?
« Je n’aime pas la réalité » dit ce personnage. Ce qui est sûr c’est qu’il est libre, où qu’il soit. Même dans un pays qui vit sous le joug d’une dictature. Carlos le révolutionnaire voudrait peut-être le sensibiliser à sa vision des choses. Mais celui qui va former l’autre en quelque sorte c’est le marginal, l’artiste travesti considéré comme décadent par tous mais qui porte aussi un engagement. Et le sien n’est pas partisan, va bien au-delà des couleurs politiques. Un amour et une liberté d’une grande intensité émanent de cet être à la fois fragile, sensible et intrépide, fort, parce qu’il se connaît et parce qu’il refuse le mensonge. Et cet étendard qu’il porte est celui de la vérité au prix d’une certaine souffrance peut-être, mais qui assure de connaître le goût réel des choses, que ce soit celui d’un baiser ou celui des larmes.
Sans jamais tomber dans aucun excès, mais au contraire avec sobriété, le réalisateur Rodrigo Sepulveda nous livre avec Je tremble, ô matador une œuvre forte et profonde, un film qui émeut par son thème traité avec pudeur et porté par une interprétation remarquable.
Bande-annonce
15 juin 2022 – De Rodrigo Sepúlveda, avec Alfredo Castro, Leonardo Ortizgris, Julieta Zylberberg