IN FABRIC
La boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper’s, son petit personnel versé dans les cérémonies occultes, ses commerciaux aux sourires carnassier. Sa robe rouge, superbe, et aussi maudite qu’une maison bâtie sur un cimetière indien. De corps en corps, le morceau de tissu torture ses différent.e.s propriétaires avec un certain raffinement dans la cruauté.
Critique du film
En quelques années à peine, le tout jeune distributeur A24 a su s’imposer comme une marque de qualité dans le cinéma américain, et tout particulièrement dans le paysage horrifique. Après le survival punk Green Room et l’horreur familiale d’Hérédité, A24 s’offre In Fabric, oeuvre audacieuse du réalisateur Peter Strickland, où le tueur est une… robe. Un film à la croisée des genres, cinq ans après l’érotisme sado-masochiste de The Duke of Burgundy, qui laissait entrevoir une filmographie intrigante.
On pense immédiatement au giallo italien, à la fois par son fétichisme de la mort et aussi pour les couleurs criardes qui imprègnent son univers. In Fabric ne s’enfonce pourtant pas dans l’hommage, mais pioche ses références visuelles, celles des catalogues de mode des 50’s au cinéma bis seventies, pour créer un monde intemporel. Peter Strickland insuffle du fantastique dans le quotidien, métamorphosant le magasin de vêtement en un lieu mystique où se télescopent différents registres. La simplicité de son héroïne Sheila confronte le phrasé sophistiqué des vendeuses, infusant lentement l’étrangeté baroque de son oeuvre.
La petite boutique des horreurs
Peter Strickland se débarrasse de tout véritable propos politique sur le consumérisme pour offrir une expérience sensorielle unique. La caméra s’engouffre dans la matière, caressant chaque pli, effleurant le tissu pourpre comme un objet charnel, métamorphosant le vêtement en une amulette maudite. Le magasin devient un temple magique, où le brouhaha de la foule devient une incantation chuchotée, couplée aux notes élégantes du clavecin.
Toute la force d’In Fabric repose sur son mélange des genres, confrontant un sérieux horrifique et la comédie avec un timing impeccable. L’étrangeté de son univers n’est jamais remis en question, bien que jamais expliqué, appuyant la tension lorsqu’elle est nécessaire : on assiste alors à une scène de possession d’une machine à laver, filmé avec un premier degré qui rend l’ensemble véritablement inquiétant. C’est la nonchalance et la douceur de Sheila qui contrebalance sans cesse la bizarrerie de ce qui lui arrive.
Et il est suffisamment rare pour le souligner : le personnage principal est une cinquantenaire noire célibataire en quête d’amour. Fascinée par la sexualité insolente de la petite amie de son fils, la caméra scrute pourtant avec douceur chaque pore, chaque ride de son visage, rendant son corps tout aussi sensuel. Le corps féminin âgé devient alors symbole érotique, ce qui semble d’autant plus fort dans un film aussi fétichiste qu’In Fabric.
S’il n’est pas exempt de quelques longueurs, In Fabric demeure un objet unique, à la croisée des genres, d’un érotisme étrange et raffiné qui confirme définitivement le talent de Peter Strickland.