still_highest-2-lowest

HIGHEST 2 LOWEST

Un magnat de la musique, réputé pour avoir « les meilleures oreilles de la profession », est la cible d’une demande de rançon qui l’accule à un dilemme moral, entre vie et mort.

Critique du film

Cette fois-ci, Spike Lee a réussi son pari : remodeler un thriller majeur du cinéma asiatique. Après avoir tenté l’exercice avec le cinéma sud-coréen en transposant Old Boy sur le sol new-yorkais, le cinéaste renouvelle l’expérience en adaptant Entre le ciel et l’enfer d’Akira Kurosawa. Partant du poids mythique laissé par Kurosawa sur plusieurs générations de cinéphiles pour l’amener à l’immédiateté frénétique du monde contemporain, Highest 2 Lowest surprend par le regard nostalgique qu’il propose au public.

Au départ, on n’imaginait pas forcément Spike Lee signer la réinterprétation d’un classique du thriller, lui-même adapté d’un roman américain d’Ed McBain. Et pourtant, l’évidence d’un tel projet s’impose rapidement. Le film de Kurosawa, qui illustre une impasse entre les classes sociales à travers l’histoire d’un kidnapping, exprime une telle colère qu’il correspond parfaitement à l’univers d’un des cinéastes les plus populaires et politiques du cinéma américain.

Ici, on quitte l’industrie de la chaussure où évoluait Toshiro Mifune pour plonger dans celle de la musique new-yorkaise. Le rôle de Mifune est repris par l’impérial Denzel Washington, qui collabore pour la sixième fois avec Spike Lee. Il incarne David King, magnat d’un empire musical sur le déclin, contraint de prendre une décision financière cruciale après ce qui semble être le kidnapping de son fils. Mais les événements prennent une tournure inattendue, ouvrant un débat moral entre différentes classes sociales impliquées dans cette affaire. Tout en respectant la trame de l’histoire originale, Spike Lee signe un thriller captivant par la façon dont il s’approprie l’œuvre de Kurosawa. Son approche emphatique du cinéma, portée par les musiques de Howard Drossin et d’A$AP Rocky, maintient le spectateur dans une implication continue et offre quelques scènes impressionnantes — notamment un dépôt de rançon dans le métro new-yorkais, rythmé par un concert de rue du chanteur Eddie Palmieri célébrant Porto Rico. Spike Lee prouve ainsi qu’il reste un auteur stimulé par le monde qu’il filme, même si l’on peut s’interroger sur le regard qu’il porte sur son époque.

highest 2 lowest

Car, s’il ne dénature pas la trame de Kurosawa, Lee parvient pourtant à s’en détacher pour livrer le regard d’un vieil homme face au monde qui l’entoure. Sur le papier, cela fait sens dans le cadre d’un remake d’un artiste célébré mondialement. Mais on peut se demander ce qu’il reste de la critique sociale incisive du film original. Certes, Lee reprend les rapports de classes en plaçant Washington à la même hauteur démesurée que l’était le personnage de Mifune — dominant la ville depuis son immeuble. Et pour un cinéaste aussi passionné par les images de la culture populaire, qu’il dénonce ou célèbre, l’idée d’un remake réflexif semblait prometteuse.

Malheureusement, la réponse paraît assez superficielle lorsqu’elle se limite à des remarques de « boomer » sur le rapport des jeunes à leurs écrans et au culte de la célébrité. Pire, la critique implacable de Kurosawa envers la bourgeoisie s’efface rapidement. Malgré une remise en question lors d’un dilemme moral impliquant l’assistant de David, un ancien détenu incarné par Jeffrey Wright, le résultat laisse un goût amer : on assiste finalement à l’inconséquence d’une histoire centrée sur un microcosme bourgeois. En ce sens, le final diffère de celui de Kurosawa en s’achevant sur une scène de chant, un choix discutable quant à la portée politique du film.

Highest 2 Lowest conserve néanmoins un plaisir indéniable de thriller stylisé. Spike Lee reste implacable dans sa mise en scène, tenant constamment son public en haleine tout en actualisant le récit. Sa virtuosité formelle élève ce projet de remake « au plus haut », mais sa pertinence politique discutable est ce qui aurait pu l’entraîner « au plus bas ».


2 août 2025 (Apple TV+) – De Spike Lee