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COMA

2020, vu par une jeune fille clouée au lit, pétrie de doutes et d’amertume à l’annonce du grand confinement. Tentant par tous les moyens de recréer un quotidien un tant soit peu ludique, elle se raconte des histoires, utilisant son imagination et les subterfuges de son siècle.

Critique du film

Lettre à Anna. Qui donc est Anna ?

Tic… Tic… Quelqu’un vient de dégoupiller la grenade ; le temps est limité. Le film s’ouvre sur une lettre à la jeunesse d’aujourd’hui, sur fond d’images d’archives un peu floues. Nous sommes en zone floue, en compagnie d’une adolescente (Louise Labeque) enfermée dans sa chambre comme en un bocal aux bords lissés par de futiles occupations. On aurait pu en rester là, et Coma serait devenu la cassette souvenir du Covid, tous les souvenirs sont bons à prendre pour faire un film, même les mauvais. 

Mais Bonello a décidé de jouer. Le moment où l’on commence à somnoler est aussi celui où le vrai film commence, dans un dialogue surréaliste de poupées Barbie imaginé par la jeune fille dévorée par une apathie sans nom. Frissonnant duo des voix de Gaspard Ulliel et Laetitia Casta. Des poupées dans un soap sans saveur, insipide, qu’on nous force à regarder. Et la magie opère. Par un savant mélange de disciplines, stop motion, illustration, réseaux sociaux, vidéo clip, on embarque à bord de notre propre siècle comme dans un rêve. Il est de ceux, inconfortables, qui vous minent le moral au réveil et fatiguent votre esprit. Bonello vient vous embuer avec une mise en scène changeante et des allers retours au sein de microcosmes cyniques et volcaniques ! Et nous restons. Car le spectacle est grandiose. Car les quelques longueurs sont bien vite atténuées par la richesse de l’idée développée tout au long de la non-histoire du film. 

Coma film

Hypnotisés par cette Youtubeuse lifestyle (Julia Faure), sorcière du Net, vendeuse de bien-être et du petit objet rétro éclairé le plus toxique et addictif du moment, objet machiavélique qui vous apprend à ne plus faire de choix, nous devenons, comme Anna, addict à ses nouvelles vidéos, désireux de tout connaître. On scroll, on streame, on se traîne, ‘y a plus grand chose à faire par ici. Soudain, tu accèdes à la Free Zone, sans mot de passe, sans complexes, dans un lieu où les âmes errent, libres et par conséquent, totalement perdues, les pauvres : tu cesses d’exister, et tu commences à être. Et ça fait peur, les gens hurlent autour. Le décor est minimaliste, c’est une forêt nocturne qui symbolise ce sas de liberté, et une chanson, interprétée par l’artiste Bonnie Banane.

Bonello renoue ici avec le sombre et le dérangeant (Tiresia, 2003) mais sans le côté fantastique (Zombi Child, 2019), on s’intéresse aux tueurs, aux serial killers, mais ça fait pas peur, les serial killers, ça donne pas de cauchemars ! C’est pas ça qui donne des cauchemars, dans Coma. L’occultisme est un prétexte à la critique. Société sans contact, souriez, vous êtes filmés, notés, jugés, côtés dans nos fichiers. Il est vrai que “les rêves est l’une des régions les moins explorées de l’art” ainsi que l’affirmait le peintre du Bizarre, Johann Füssli. Pourtant, la réalité de notre monde et sa somnolence ambiante sont propices à la création, et Bonello réussit plutôt habilement, dans le registre de l’absurde, ce tour de passe passe jubilatoire au rythme d’une bande originale entêtante, en partie composée par le réalisateur lui-même. Les mots d’esprit disséminés, quant à eux composés par le philosophe Gilles Deleuze dans un français parfait, rehaussent la noirceur et le pessimisme vers lequel on penche à plusieurs reprises, laissant place à l’espoir, à l’action ou plutôt, à la création.

Bande-annonce

16 novembre 2022De Bertrand Bonello, avec Louise LabequeJulia FaureLouis Garrel




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