CHAIR POUR FRANKENSTEIN
Victor de Frankenstein veut fabriquer de nouvelles créatures dangereuses et sanguinaires avec l’aide de son assistant. Pour ce faire, il n’hésite pas à commettre des actes abominables afin de réunir toutes les « pièces » nécessaires à son œuvre…
Critique du film
Paul Morrissey et Andy Warhol collaborent depuis 1965 lorsqu’ils se lancent dans le tournage de Chair pour Frankenstein, avant de produire et de mettre en scène un autre film d’horreur un an plus tard : Du sang pour Dracula. Ensemble, ils ont déjà livré une trilogie composée de Flesh, Trash et Heat — des œuvres délibérément provocatrices réalisées entre 1968 et 1972, mettant en scène des marginaux et traitant notamment de prostitution masculine ou de toxicomanie. Ces films avaient déjà pour interprète principal Joe Dallessandro, qui gagna avec cette trilogie une renommée lui permettant de bâtir une longue filmographie et un statut de sex-symbol.
Avec Andy Warhol et sa Factory — laboratoire créatif et lieu mythique consacré à l’art pop, au cinéma expérimental et à la musique, qui lança aussi bien des artistes plastiques que des musiciens comme The Velvet Underground ou la chanteuse Nico —, Paul Morrissey était habitué à des budgets dérisoires ne dépassant pas quelques milliers de dollars. Lorsqu’on lui propose de réaliser une adaptation du roman gothique de Mary Shelley, il n’est pas forcément motivé par le sujet — il méprise un peu ce genre d’histoires et considère les films de la Hammer comme des navets — mais le budget de 300 000 dollars lui fait vite réaliser qu’il va pouvoir livrer un long-métrage plastiquement abouti et qui lui permettra de réellement s’exprimer. Le montant alloué permet même un tournage en 3D : le film sera parfois projeté en relief dans certains cinémas, mais pas systématiquement.
La distribution comprend bien sûr Joe Dallessandro, dans le rôle d’un paysan qui attire vite le regard des femmes, notamment celui de la sœur du baron Frankenstein, jouée par Monique Van Vooren. Udo Kier, acteur allemand qui n’avait jusque-là tenu que quelques rôles secondaires, trouve ici son premier grand rôle marquant : celui du baron Victor de Frankenstein, qu’il incarne avec un mélange d’ambiguïté et de perversité. Le mannequin Dalila Di Lazzaro est engagée pour jouer la créature féminine créée par le baron à partir de plusieurs cadavres.

Dans Chair pour Frankenstein, le baron se montre obsédé par la possibilité de créer une nouvelle race en accouplant deux de ses créatures. Il faut trouver des cadavres et reconstituer de nouveaux corps, ce qui donne lieu à des scènes particulièrement gores, parfois un peu datées, même si les effets spéciaux sont signés par le maître Carlo Rambaldi — futur créateur d’Alien, d’E.T. l’extra-terrestre ou encore de la créature de Possession de Zulawski. Paul Morrissey a voulu faire de Chair pour Frankenstein un film à la fois horrifique et érotique, même si les scènes semblent bien sages aujourd’hui, voire parodiques. Difficile d’ailleurs de savoir si certains aspects comiques sont volontaires ou non. Très bien réalisé, avec une esthétique soignée et de beaux plans, Chair pour Frankenstein constitue un film de genre tout à fait honorable et plutôt original. Ce qui pêche un peu, sans doute, c’est le manque d’homogénéité dans la distribution : si Udo Kier et Monique Van Vooren livrent de belles compositions, certains rôles secondaires paraissent plus caricaturaux.
On a donc ici affaire, avec Chair pour Frankenstein, à une version qui se démarque de beaucoup d’autres adaptations du roman de Mary Shelley. Si certains effets sont un peu datés et si le désir de provocation ne produit plus le même effet cinquante ans plus tard, le film reste intéressant à découvrir et à remettre en perspective dans la filmographie de Paul Morrissey et dans l’histoire du film d’horreur.






