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CARMEN ET LOLA

La Bobinette flingueuse est un cycle cinématographique ayant pour réflexion le féminisme, sous forme thématique, par le prisme du 7e art. À travers des œuvres réalisées par des femmes ou portant à l’écran des personnages féminins, la Bobinette flingueuse entend flinguer la loi de Moff et ses clichés, exploser le plafond de verre du grand écran et explorer les différentes notions de la féminité. À ce titre, et ne se refusant rien, la Bobinette flingueuse abordera à l’occasion la notion de genre afin de mettre en parallèle le traitement de la féminité et de la masculinité à l’écran. Une invitation queer qui prolonge les aspirations d’empowerment de la Bobinette flingueuse.

Gitanes (dé)chainées

Carmen et Lola sonne telle une idylle contemporaine, affranchie de tout déterminisme social pour voguer sur les sentiers de la liberté, à l’instar de l’affiche lumineuse du film. C’est pourtant tout le contraire que Arantxa Echevarria met habilement en scène, abordant sans tabou les carcans du monde gitan avec un regard naturaliste, voir quasi documentaire.

À la lisière entre la fiction et l’étude culturelle d’une communauté gitane madrilène, la réalisatrice basque traite de l’homosexualité féminine mais explore également le rôle cloisonné de la femme au sein même de cette ethnie  offrant ainsi une double lecture au récit non sans rappel avec le brillant Désobéissance de Sébastian Lelio sorti en juin dernier, dont l’axe était la religion juive.

On retrouve certains mécanismes similaires mais cette fois la narration se concentre sur deux adolescentes, encore en prise avec le patriarcat familial et soumises aux pressions du groupe, et de la religion, sur le devoir marital. Des deux protagonistes, Lola est la plus libre et la plus consciente de son identité, pour autant son avenir demeure dicté par son père : sa fille doit travailler au marché aux dépends de sa scolarité et doit être mariée au plus vite, malgré ses 16 ans. Mais dès le début souffle en elle un vent de rébellion incarné avec une pudeur naturelle par Zaia Romero. Carmen quant à elle est davantage formatée par son environnement, déjà promise au mariage et persuadée que son avenir est d’être coiffeuse, alignement d’une tradition culturelle. Cependant, la Carmen de Rosy Rodriguez évoque celle de P. Mérimée, une « belle gitane, sensuelle et passionnée ». Et la passion ne manquera pas de se manifester dès sa rencontre avec Lola. Les barrières du folklore tsigane, au verni parfois régressif, vont éclater pour laisser place à la fougue et aux désirs profonds.

Et bien quelques symboles soient un peu poussifs, comme celui de l’oiseau ou encore de la mer, les divers éléments mis en place mettent en exergue le sort enchaîné des femmes, aujourd’hui encore, suivant leur origine. Un éclairage pertinent qui permet de débusquer l’argument fallacieux selon lequel le féminisme devrait être remplacer par le terme égalitarisme. Un remplacement qui reviendrait à occulter tous les combats précédents et ceux à venir, tout comme pour l’homophobie.

L’amour n’a pas de dieu

C’est l’amour naissant entre Carmen et Lola qui va, d’une certaine manière, les libérer. Mais cet envol a un prix, et les deux jeunes femmes se trouvent confrontées à l’obscurantisme de leurs proches, encartés par la religion et la domination masculine régie par la communauté. La libération découle ainsi d’un rejet, l’homosexualité féminine étant synonyme de malédiction et d’humiliation.

Le chemin personnel tortueux de la découverte de soi se combine alors à l’ostracisme du quartier. Au nom de dogmes arriérés, Lola est décrétée malade et doit être soignée car son amour pour Carmen est contre nature. Une justification aberrante au XXIe siècle, qui poursuit pourtant sa trajectoire malgré la réalité des faits concernant l’orientation sexuelle. À contrario du sublime Call me by your name, les deux adolescentes ne peuvent être elles-mêmes chez elles et ne peuvent lutter face à la fermeture d’esprit. Arantxa Echevarria dépeint la réalité avec finesse sans omettre la brutalité de la situation. Un regard cru sur des normes toujours en jeu, mais sans vulgarité gratuite.

Et malgré le sexisme et l’homophobie latents, le récit offre quelques moments d’éclats dont la scène de la piscine durant laquelle la complicité entre Carmen et Lola touche à l’authenticité, à la légèreté de l’amour prouvant que ce sentiment n’a pas de codes : social, culturel, religieux, de genre… Un instant suspendu flirtant, en toute simplicité, avec la beauté des émotions.

Malgré la dureté du récit, le film porte en lui un message d’espoir et de liberté, et tente d’infléchir des coutumes séculaires qui séquestrent les femmes tout comme les opinions biaisées sur l’homosexualité. Une démonstration cinématographique aux nuances ethnographiques qui aspire à esquisser un nouveau tableau, et révèlent deux actrices lumineuses.

Pour aller plus loin

Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh


Synopsis

Carmen vit dans une communauté gitane de la banlieue de Madrid. Comme toutes les femmes qu’elle a rencontrées dans la communauté, elle est destinée à reproduire un schéma qui se répète de génération en génération : se marier et élever autant d’enfants que possible, jusqu’au jour où elle rencontre Lola.




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