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BURNING

Lors d’une livraison, Jong Su, un jeune coursier, retrouve par hasard son ancienne voisine, Haemi, qui le séduit immédiatement. De retour d’un voyage à l’étranger, celle-ci revient cependant avec Ben, un garçon fortuné et mystérieux. Alors que s’instaure entre eux un troublant triangle amoureux, Ben révèle à Jongsuson étrange secret. Peu de temps après, Haemi disparaît…

Critique du film

Dernier film en date de son auteur, Burning est ressorti injustement bredouille de l’édition 2018 du Festival de Cannes, où certains le voyaient déjà repartir avec la récompense suprême. Il faut dire que le film a de quoi détonner. Adapté d’une
nouvelle de Murakami, il nous présente l’histoire de Jong Su, simple livreur à l’âme d’écrivain, qui tombe sur une vieille connaissance, laquelle a visiblement bien changé depuis leur dernière rencontre. Elle, c’est Haemi, originaire du même village que lui, et devenue entre-temps animatrice d’événements commerciaux à Séoul. Très vite, ils se séduisent et couchent ensemble. Mais une ombre plane. Une ombre qui se matérialise par l’arrivée de Ben, trentenaire plein aux as dont on ignore les sources de richesse extérieure. Se met dès lors en place un billard à trois bandes, et bien malin celui qui affirme d’où partira le coup gagnant.

TOUT FEU TOUT FLAMME

Lee Chang-Dong poursuit, après Secret Sunshine (2007) et Poetry (2010), son examen de la détresse humaine, saupoudrant ce thriller social d’un zeste de mélancolie bercée par les doutes et les faux-semblants. Le cinéma sud-coréen, d’ordinaire abonné aux rythmes fantasques et survoltés, trouve ici un pendant on ne peut plus fascinant. Les rares rebondissements, la cadence poussive et les multiples intrigues inextricables auraient pu rendre le film fastidieux si Lee Chang Dong ne parvenait à confier à son récit des interprétations riches et foisonnantes. Les métaphores pullulent sans non plus s’imposer vulgairement, du motif de la fenêtre reflétant l’obsession jusqu’à la figure féminine qui scinde le cadre en deux pour manifester la lutte des classes, en passant par la lueur du feu et son mythe de colère retenue.

Le réalisateur manie avec brio l’art du mystère et de la réfraction. Il ne veut pas asséner, ne pas trop dire ou nous prendre par la main. Les directions sont diverses, les variations astucieuses, les beautés évidentes. Dont celle, par exemple, de cette scène majeure qui voit Haemi danser à moitié nue face au soleil qui se couche sur les accords déchirants de Mile Davis, les mêmes entendus dans Ascenseur pour l’échafaud. C’est à partir de là, et d’une étonnante confession faite par Ben, que le film va se distordre, passant alors de la chronique sociale et sentimentale au puzzle policier, presque métaphysique tant le film semble ne se construire que des interrogations et des divagations de Jongsu.

Burning film

Les acteurs, tous plus magnétiques les uns que les autres, répondent parfaitement à la poétisation des plans-séquences de Chang-Dong. Ceux-ci comblent les pièces manquantes que multiplie Burning, aigre panorama d’un monde mystérieux et inexplicable faite de serres et d’Hommes, consumé par un kaléidoscope d’allégories romanesques et politiques. Dans ces abysses de l’imagination émane une jeunesse coréenne en difficulté, remplie d’une colère sourde, dont les tourments existentiels prennent ici un aspect éminemment cinématographique.

CHANG-DONG LE MAGNIFIQUE

Comme Faulkner (cité dans le film) avec le Sud des États-Unis, Lee Chang-dong dépeint une société sud-coréenne en crise, en déliquescence. Celle qui se donne l’apparence de la bonne santé, mais qui s’effrite au-dedans, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Symbole de cette jeunesse désemparée, Jong Su, chômeur qui souhaite devenir écrivain, sans toutefois jamais réellement savoir ce que l’écriture signifie.

C’est une personnalité complexe, travaillée par des forces contraires : un héritage paternel défaillant (la violence brute et incontrôlée) qui s’oppose à son caractère patient, renfermé, mais non point dénué d’intelligence. Il n’aura de cesse de critiquer cette société du paraître, celle des “Gatsby”, qui fait aujourd’hui foi en Corée du Sud et ailleurs dans le monde, et qui produit autant qu’elle détruit dans les flammes.

Burning signe le règne de l’étrangeté absolue, de celle qui remet totalement en perspective l’idée du regard vers autrui, du jugement, de la spéculation morale et de l’importance de l’interprétation des paroles ou des gestes. Plus que la lutte des classes, c’est une jeunesse en perdition que Lee Chang-Dong met en scène sans pour autant tomber dans le pathétique : chaque situation, aussi angoissante soit-elle, finit se confondre avec une ironie cruelle.

#LBDM10ANS

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