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AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU

En 1560, Aguirre, un conquistador illuminé, s’enfonce avec ses hommes au coeur de la forêt vierge amazonienne, à la recherche de l’Eldorado.

Critique du film

Tourné en 1972 par Werner Herzog, entre Les Nains aussi ont commencé petits et L’Énigme de Kaspar Hauser, Aguirre, la colère de Dieu suit le périple de conquistadors espagnols dans la forêt amazonienne, dévorés par l’esprit de conquête et la soif inextinguible d’un or réel ou fantasmé. Pedro de Ursua dirige cette section de soldats, accompagnés de deux femmes — l’épouse de Pedro de Ursua et la fille de Lope de Aguirre, l’un de ses lieutenants — ainsi que d’un homme d’Église. Aguirre conteste très rapidement l’autorité du chef de l’expédition et organise une mutinerie : Pedro de Ursua est fait prisonnier et ceux qui le défendent sont exécutés. Vindicatif, ambitieux mais aussi calculateur, Aguirre ne se proclame pas chef : il propose de donner toute autorité à Fernando de Guzman, homme faible qu’il pourra manipuler à sa guise. L’équipée s’embarque alors sur un radeau pour descendre le fleuve Amazone et trouver l’Eldorado qui leur apportera la richesse.

Réalisé au Pérou en six ou sept semaines, avec un budget relativement modeste, Werner Herzog réussit le tour de force de livrer un film d’aventure exceptionnel, mais aussi une œuvre profonde et pessimiste, particulièrement marquante. Comme pour d’autres films tournés plus tard en pleine jungle — Apocalypse Now ou Le Convoi de la peur, entre autres — Aguirre, la colère de Dieu est célèbre pour ses qualités cinématographiques autant que pour son tournage aventureux, périlleux et riche en anecdotes. Herzog choisit de confier le rôle d’Aguirre à Klaus Kinski, rencontré quelques décennies plus tôt. L’acteur a déjà tourné dans un grand nombre de films, certains devenus célèbres — Le Docteur Jivago, Et pour quelques dollars de plus — et d’autres relevant plutôt de la série B.

Aguirre la colère de Dieu

Aux difficultés de tourner dans la jungle et de descendre un fleuve tumultueux s’ajoute celle de gérer les violentes crises de Klaus Kinski. Lors d’une dispute avec Herzog, Kinski annonce qu’il va quitter le tournage. À cette menace, le réalisateur en répond par une autre : s’il part, il le tuera, affirmant posséder un revolver. L’acteur se montre si odieux et ses accès de folie si effrayants que certains Indiens engagés sur le film proposent à Herzog de le supprimer. Le metteur en scène décline cette offre, prétextant qu’il a encore besoin de son acteur principal pour terminer le film. De cette collaboration conflictuelle et explosive naît pourtant un chef-d’œuvre, et quatre autres longs-métrages réuniront encore les deux artistes : Nosferatu, fantôme de la nuit, Woyzeck, Fitzcarraldo et Cobra Verde. En 1999, quelques années après la mort de Klaus Kinski, Herzog réalise Ennemis intimes, documentaire sur leurs cinq films communs, décrivant à la fois un homme instable et dangereux, et un artiste d’une grande sensibilité, capable parfois de tact.

Aguirre, la colère de Dieu est un film au rythme lancinant, accompagné de la musique planante de Popol Vuh, groupe allemand avec lequel Herzog collaborera sur plusieurs autres œuvres. Le réalisateur prend son temps, sans que le récit ne comporte la moindre longueur. Les personnages principaux sont, pour la plupart, avides de richesses, cruels et hypocrites — comme ce moine qui n’a de religieux que l’habit — ou ces soldats qui ne pensent qu’à piller les villages, après avoir importé des maladies inconnues des autochtones, dont certains meurent d’un simple rhume. Le film comporte plusieurs scènes marquantes, des fulgurances dues autant au talent du cinéaste qu’à l’interprétation fiévreuse de Kinski.


Ressortie en salle le 19 novembre dans une splendide restauration 4K, accompagnée de six autres films pour la 1ère partie d’une rétrospective Werner Herzog : ce premier cycle se nomme La Nature.