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À PIED D’ŒUVRE

Un photographe à succès abandonne tout pour se consacrer à l’écriture et découvre la pauvreté.

Critique du film

Il y a dans À pied d’œuvre une radicalité tranquille, presque imperceptible. Valérie Donzelli adapte le récit autobiographique de Franck Courtès et suit la trajectoire d’un homme qui renonce volontairement au confort, au statut et à la reconnaissance pour se consacrer à l’écriture. Un choix intime mais aussi politique, filmé sans pathos ni emphase, avec une sécheresse qui devient sa force.

Quitter le confort

Paul, photographe reconnu, décide de tout arrêter pour écrire son nouveau roman. À partir de là, c’est la pente douce de la précarité, l’abandon du confort, des repères sociaux, d’une intégration qu’il refuse. Un homme blanc qui se met volontairement à l’écart, qui choisit une autre forme de pouvoir : celui de l’endurance. La liberté, ou peut-être seulement l’illusion de la liberté. Donzelli accompagne cette décision obstinée en la filmant comme une suite de gestes : se lever, écrire, compter chaque dépense et chaque ressource pour ne pas renoncer.

Très vite, les petits boulots s’imposent. Des missions éreintantes, absurdes parfois, dictées par une application qui distribue notes et micro-tâches. L’algorithme comme nouveau patron, froid, impersonnel, déshumanisant. Le film capte cette fatigue lente, insidieuse, où la violence n’explose jamais mais se diffuse dans le quotidien. Ici, pas de grand effondrement, mais l’usure concrète d’un corps et d’un esprit qui s’acharnent.

A pied d'oeuvre

Bastien Bouillon incarne Paul avec une intensité silencieuse. Taiseux, observateur, il devient une page blanche où les autres se reflètent. Il note tout, les détails insignifiants, une paire de chaussures, une chaussette trouée. Invisible, mais poreux, il absorbe les existences qu’il croise. Cette présence discrète fait de lui un miroir du monde autant qu’un homme en retrait. Autour de lui, Virginie Ledoyen, André Marcon et Marie Rivière forment un chœur de présences qui ne sont jamais réduites à de simples rôles secondaires.

Écrire, travailler

Le film fait du verbe « travailler » son centre. Travailler pour vivre, travailler à écrire : deux mouvements irréconciliables. Paul gagne des heures plus que des euros, achète du temps pour sa vocation. Donzelli filme ce combat sans lyrisme, avec une lucidité qui rappelle qu’écrire est une activité sans salaire garanti, où la première rétribution est la fidélité à soi-même. Comme Anna Cazenave Cambet dans Love Me Tender, elle choisit la voix-off pour garder la trace de la plume de Courtes, pour donner accès à ce flux intérieur où se joue le vrai prix de l’art. Et si la parenté formelle saute aux yeux, l’analogie se joue aussi dans le sujet : montrer le coût réel, intime et social, de l’abandon au geste d’écrire.

On pourrait reprocher au film sa modestie, mais c’est justement cette modestie qui fait sa justesse. Donzelli ne cherche pas à « faire pauvre » ou à accentuer la misère. Elle filme la dignité dans la discipline, la cohérence dans le renoncement. C’est un cinéma tenu, droit, qui refuse l’emphase pour mieux laisser le spectateur éprouver l’addition des concessions. À pied d’œuvre est un film de probité, à la fois modeste et nécessaire. Il regarde l’écriture comme un chantier qui recommence chaque jour, avec sa part de joie, de peur et de doute. La réussite compte moins que l’intégrité du geste. La cinéaste française signe un film où le minimalisme devient la matière même du cinéma.


21 janvier 2026 – De Valérie Donzelli


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