still_a-perdre-la-raison

À PERDRE LA RAISON

Murielle et Mounir s’aiment passionnément. Depuis son enfance, le jeune homme vit chez le Docteur Pinget, qui lui assure une vie matérielle aisée. Quand Mounir et Murielle décident de se marier et d’avoir des enfants, la dépendance du couple envers le médecin devient excessive. Murielle se retrouve alors enfermée dans un climat affectif irrespirable, ce qui mène insidieusement la famille vers une issue tragique

Critique du film

Librement inspiré d’un fait divers survenu en Belgique en février 2007, À perdre la raison s’impose comme une œuvre âpre et bouleversante, où Joachim Lafosse poursuit son exploration des liens familiaux et des enfermements affectifs. Le cinéaste ne cherche ni la reconstitution minutieuse ni la démonstration judiciaire : il inscrit ce drame intime dans une perspective quasi antique, comme une tragédie où le trop-plein d’amour et la dette morale se transforment en pièges mortels.

L’histoire suit Murielle (Émilie Dequenne), jeune épouse dont la vie semble s’enliser sous le poids d’un mari aimant mais autoritaire (Tahar Rahim) et surtout sous l’emprise d’un beau-père envahissant (Niels Arestrup), figure tutélaire et étouffante. Ce « trop-plein » d’attention, doublé d’un contrôle constant, enferme peu à peu la jeune femme dans une existence où chaque geste, chaque choix, est déterminé par d’autres. Le film dissèque avec précision ce glissement imperceptible, cette manière dont une vie apparemment confortable devient une prison psychologique et sociale.

La force du film réside dans sa mise en scène, d’une sobriété glaçante. Joachim Lafosse refuse tout pathos et tout sensationnalisme, préférant des plans retenus, des silences lourds, une distance clinique qui rend le drame d’autant plus insoutenable. La caméra scrute les visages, les regards, les non-dits, et construit un récit où l’issue tragique semble inéluctable. Cette maîtrise formelle culmine dans un épilogue d’une rare puissance, qui glace le spectateur tout en évitant les écueils du spectaculaire.

Le trio d’acteurs est remarquable. Niels Arestrup, en patriarche à la fois bienveillant et manipulateur, impose sa présence magnétique. Tahar Rahim incarne avec justesse un mari fragile, coincé entre fidélité filiale et incapacité à s’opposer. Mais c’est Émilie Dequenne qui porte le film de bout en bout : sa lente dérive, sa fragilité contenue, son regard habité traduisent la détresse d’une femme privée de liberté intérieure. Son prix d’interprétation à Cannes était amplement mérité.

Certains spectateurs pourront reprocher au film une certaine lenteur, voire une austérité narrative. Mais cette temporalité, parfois pesante, fait partie du dispositif : elle reflète l’immobilité d’une existence figée, le sentiment d’étouffement qui mène inexorablement à la perte de repères.

Avec À perdre la raison, Joachim Lafosse signe une œuvre d’une grande maturité, qui refuse les jugements simplistes pour mieux interroger les mécanismes du contrôle affectif et de la dépendance. Plus qu’un simple drame inspiré d’un fait divers, le film éclaire les zones d’ombre d’une relation déséquilibrée, et montre comment l’amour, lorsqu’il se transforme en emprise, peut conduire à l’irréparable.

JOACHIM LAFOSSE | FRANCE | 111 MIN | 22 AOÛT 2012 | EMILIE DEQUENNE, NIELS ARELSTRUP, TAHAR RAHIM

Dernière mise à jour 7 septembre 2025 par Sam Nøllithørpe ⚲ TP




0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

2 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
ffred
13 années il y a

Tout à fait d’accord. Une vraie tragédie grecque faite avec sobriété, presque discrète…Émilie Dequenne est formidable.

trackback
12 années il y a

[…] À PERDRE LA RAISON, de Joachim Lafosse […]

2
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x