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BILAN | Nos coups de coeur d’octobre 2025

CHAQUE MOIS, LES MEMBRES DE LA RÉDACTION VOUS PROPOSENT LEUR FILM PRÉFÉRÉ LORS DU BILAN DU MOIS, CELUI QU’IL FALLAIT DÉCOUVRIR À TOUT PRIX EN SALLE OU DANS VOTRE SALON (SORTIES SVOD, E-CINEMA…). DÉCOUVREZ CI-DESSOUS LES CHOIX DE CHAQUE RÉDACTEUR·ice DU BLEU DU MIROIR POUR LE MOIS D’OCTOBRE 2025.

Le choix de François-Xavier

Jafar Panahi avait déjà esquissé dans Taxi Téhéran le motif de la voix du bourreau qui hante ses victimes, Ici le couinement d’une prothèse remplace la voix et c’est le point de départ d’une tragi-comédie où le réalisateur iranien met en scène les tribulations d’une bande de pieds-nickelés de la loi du Talion. À sa tête, Vahid, qui porte bien mal le costume de l’apprenti salaud. D’ellipses en embardées, le récit dresse un éloge du doute. Cinéaste du véhicule, Panahi est surtout celui de la ligne de conduite. Il suffit que le téléphone sonne et Vahid décroche : l’appel de la vie est plus fort que la pulsion de mort. Un simple accident ou comment passer d’un cinéma de la contrainte à un cinéma de la concorde.

Le choix d’Antoine

Arco

Nouvelle preuve de l’incroyable vitalité artistique au sein de l’animation française, Arco a de quoi réjouir à plus d’un titre. Le dessinateur et réalisateur Ugo Bienvenue y imagine un récit accessible à tous, entre science-fiction et fable écologique. On retrouve bien sûr les envolées lyriques d’un Miyazaki dans la manière dont il aborde le rapport de l’humain à la nature, mais la richesse thématique d’Arco ne s’arrête pas là. Bienvenue y traite avec sensibilité de questionnements très contemporains comme le sentiment de solitude dans un monde toujours plus connecté, sans pour autant tomber dans un discours technophobe. Une réussite totale, qui aurait presque mérité de s’étendre davantage, tant le film recèle de personnages et de problématiques aussi touchants que complexes. Et à quand un spinoff centré sur les “trois Stooges”, incarnés avec malice par Vincent Macaigne, William Lebghil et Louis Garrel ?

Le choix de Fabien

Adapter L’Etranger de Camus était un vrai défi que François Ozon relève haut la main. Le réalisateur offre un regard contemporain sur cette œuvre publiée en 1942 et prenant pour cadre l’Algérie au temps du colonialisme, tout en conservant la dimension intemporelle de son questionnement sur l’Homme et la société. Le choix du noir et blanc (sublime) parfois écrasé par la dure lumière du soleil donne un côté presque irréel au film soulignant un peu plus le mystère entourant le personnage principal de Meursault, interprété par un Benjamin Voisin parfait. L’acteur confirme l’étendue de son talent et Ozon son statut de grand cinéaste français.

Le choix de Sam

La petite dernière

Avec La Petite Dernière, Hafsia Herzi signe son film le plus abouti et le plus bouleversant, adaptant avec une justesse rare le roman de Fatima Daas pour raconter l’éveil d’une jeune femme franco-algérienne, musulmane et lesbienne, en quête d’équilibre entre foi, famille et désir. Sans jamais forcer l’émotion, la réalisatrice filme les silences, les dilemmes intérieurs et les élans de son héroïne avec une pudeur et une tendresse infinies, révélant une Nadia Melliti d’une intensité sidérante, à la fois fragile et lumineuse. Entre sincérité sociale et poésie sensuelle, Herzi livre une œuvre nécessaire, qui donne enfin voix à une jeunesse trop souvent invisible et impose son regard parmi les plus précieux du cinéma français contemporain.

Le choix de Théo

Le premier long-métrage de Kristen Stewart est une véritable solution aqueuse, un condensé d’éléments multiples gardant pourtant un élément commun : une vie brisée, une existence à (re)construire. Dans un montage d’images fragmentaires difficilement transposable ailleurs qu’au cinéma, l’œuvre retrace la violence sous bien des formes, préférant bien souvent les remous de la surface au calme des grands fonds. Les corps se mélangent, les fluides aussi, corporels et artificiels. La moisissure pénètre l’esprit autant que l’eau semble purger les émotions, c’est une plongée éreintante que la cinéaste offre à un public peut-être pris au dépourvu, face à une œuvre qu’on pourrait sans trop de mal qualifier « d’extrême ». The Chronology Of Water incarne un peu le premier film parfait, expiatoire et délivrant, un requiem fracassé en l’honneur de celles qui ne pourront jamais vraiment vivre. 

Le choix d’Emilien

D’une certaine manière, Arco peut être vu comme une réponse au très bon Mars Express, qui fait désormais office de modèle comme ambitieux film futuriste français, qui plus est animé. Repoussant tout de même la noirceur de son aîné, le long-métrage d’Ugo Bienvenue retrace, par un récit à rebours, le parcours d’un jeune garçon issu d’un futur lointain qui se retrouve projeté accidentellement dans le passé – temporalité correspondant à notre futur proche. Par cet écart entre ce que nous savons de notre société actuelle et ce que nous découvrons dans la fiction, le film investit la fonction répatrice de la science-fiction, qui montre que, si tout ne se passe pas bien maintenant, une amélioration et une stabilité sont toujours possibles. Un soin particulier a été porté à l’écriture, des discussions entre les personnages à la construction de ce futur à la fois triste et banal, que l’on découvre à travers les yeux du héros : les différents éléments s’imbriquent peu à peu, formant un commentaire relativement simple mais plein d’espoir sur la façon de vivre en société et d’y impulser quelque chose, à l’échelle où c’est possible. La beauté de l’animation participe beaucoup au souffle vital qui traverse le film, dont le mouvement est un des motifs principaux, entre les séquences de vol grâce à la cape qui permet de voyager dans le temps et la grosse course-poursuite dans la seconde moitié du film qui passe du rocambolesque à la fuite en avant désespérée. Face à son envie obstinée de décloisonner les choses, de ménager des passages entre les époques, les séquences et les personnages, on ne souhaite finalement qu’une chose à Arco : qu’il marque lui aussi son époque, avec un avant et un après, et que sa descendance soit fructueuse.

Le choix de Simon

l'étranger

Décidément, l’automne a été jalonné d’adaptations de romans jugés « inadaptables ». Après Une bataille après l’autre, inspiré de Vineland de Thomas Pynchon, le Chronology of Water de Kirsten Stewart qui s’appuie sur le livre du même nom de Lidia Yuknavitch, c’est l’Étranger de Camus qui est retranscrit à l’image. Si on pourra reprocher au film d’Ozon son approche un peu trop scolaire, il n’empêche que le très prolifique cinéaste français signe ici une œuvre très convaincante, aussi opaque qu’hypnotique, comme son modèle finalement. Pour réussir à donner vie à Meursault à la caméra, il fallait un acteur talentueux. Benjamin Voisin quitte les excès d’Été 85 pour devenir totalement atone, presque delonien (impossible de ne pas penser au Samouraï de Melville devant le film). Aux questions qui entourent le personnage, Ozon les évite jusqu’à son dernier acte tout en ne brisant jamais le mystère l’entourant.

Le choix de Victor

Coup de coeur de ce mois, mais également celui du cinéma français de cette année, La petite dernière est une oeuvre puissante par le récit d’apprentissage sentimental qu’Hafsia Herzi nous raconte. En reprenant le livre éponyme de Fatima Daas, elle signe un coming-of-age queer époustouflant par les degrés de nuances qu’elle juxtapose tout le long. Avec une caméra chaleureuse, elle signe une oeuvre bouleversante où la joie des expériences vécues se superpose à des conflits profondément intériorisés, ne pouvant sortir alors qu’à travers des larmes silencieuses. On ressort profondément ému de ce récit, avec peut-être l’une des plus belles scènes de fin vues cette année.

Le choix de Matthieu

Étonnamment pudique, alors même que le réalisateur se livre de manière très intime, Imago révèle sa force dans des moments de vie à l’intensité vibrante captés à la volée. Chacun pourra se reconnaître dans cette quête existentiel où un homme adulte démarre la courageuse entreprise de régler ses blessures d’enfance enfouies, entre déracinement, traumas d’exilés et chocs des cultures. Traité d’une manière humble et passionnante, le sujet n’est pas toujours gai mais bénéficie d’une mise en scène lumineuse et finalement pleine d’espoir.