EN GARDE
Jie, jeune talent prometteur de l’escrime, renoue avec son frère aîné Han, récemment libéré après sept ans de prison pour la mort accidentelle d’un adversaire lors d’une compétition. En secret, Han soutient Jie dans son entraînement, l’aidant à viser une qualification aux championnats nationaux. Mais une dispute éclate, et Jie commence à douter de l’innocence de son frère.
Critique du film
En Garde est à l’image du sport pratiqué par son protagoniste : il tâte, se met en place, prend de l’élan et avance agressivement lorsqu’il est certain de pouvoir porter précisément les coups. Se servant de sa caméra comme d’un fleuret, Nelicia Low semble avoir trouvé un angle suffisamment pointu pour faire de son premier film une fable douce-amère sur la fraternité. Comme beaucoup d’éléments du film, cette relation est tranchée, une plaie humaine volontairement laissée à vif ; reste à savoir mettre en images les mécanismes à l’origine d’une telle fracture.
C’est dans un Taipei presque dépeint comme le ferait un certain Edward Yang que le film prend place. Si Taïwan est majoritairement relégué au second plan durant la majorité de l’intrigue, le lieu contextualise néanmoins le drame familial qui s’y trame. Difficultés financières ou vie urbaine trop oppressante, les raisons ne manquent pas pour évoquer un certain mal-être chez les personnages. Une particularité comportementale qui participe à définir les caractères de chacun, qu’il s’agisse de Jie, jeune homme perdu et dépassé par les événements, de son frère Han, individu ambivalent dont les failles demeurent difficilement lisibles, ou de leur mère, femme tentant de concilier le « deuil » de son premier enfant avec l’éducation du second, sans renoncer à sa propre existence. Les personnages sont ainsi rapidement caractérisés ; pour autant, ils ne restent pas figés. En Garde se déploie dans un moment charnière pour chacun d’eux, et les cent-cinq minutes du film suffisent à offrir différentes perspectives, à les voir évoluer tantôt avec douceur, tantôt avec brutalité.
Ainsi, le cadre se fixe souvent dans des espaces où deux personnages peuvent se confronter, dialoguer en face-à-face, sans que la réalisation ne recoure à des dispositifs basiques. La vue est fréquemment latérale, permettant de faire disparaître à l’envie l’un des protagonistes du champ, dissimulé derrière un poteau, un mur ou un rideau. Cet angle de profil devient un outil précieux pour saisir les relations dans leur ensemble. On perçoit sans peine un amour naissant et timide, dans ces corps qui s’effleurent sans oser se toucher ; mais ce procédé se révèle surtout efficace dans les scènes d’escrime, sport cristallisant de manière métaphorique l’ensemble des enjeux du long-métrage. Les combats y sont conclusifs : les véritables émotions de Jie y explosent, à l’instar de celles de son frère, dont les failles semblent réveillées par l’appel du sabre. L’adversaire est rarement montré ; le véritable duel se joue à l’intérieur même du personnage. En Garde exploite ainsi la tourmente, ne dévoilant jamais pleinement ses intentions avant un final explosif, rappelant presque certains traumatismes historiques de l’île.

Malgré ses indéniables capacités à transmettre sans expliciter, l’œuvre de Nelicia Low semble toutefois perdre progressivement une part de son efficacité. Cette qualité première — faire comprendre sans discours appuyé — se trouve fragilisée par un personnage que d’aucuns ne semble véritablement chercher à comprendre à mesure que le film avance : Han, le frère de Jie. Figure centrale et élément perturbateur du récit, il apparaît presque comme un prétexte narratif. Silhouette trop fugace, sur laquelle il devient difficile de se concentrer faute de matière, Han finit par n’exister que comme vecteur de choc dramatique. Le spectateur peine alors à le définir autrement que comme un instrument du scénario. En Garde se transforme peu à peu en machine en surchauffe, jusqu’à provoquer une rupture de crédibilité, dernier seuil franchi avant l’abandon d’une posture jusque-là confortable, celle d’un spectateur engagé et curieux, désormais remplacée par un regard plus distant, le film semblant délaisser ce qui faisait sa principale force.
En Garde est indéniablement inspiré et témoigne d’une grande intelligence formelle. Mais le caractère semi-autobiographique de cette relation fraternelle tend à maintenir une distance face à des mécanismes qui demeurent obscurs, que la caméra choisit de ne pas explorer pleinement. S’il est aisé de deviner ce que chaque personnage ressent, il devient plus difficile de s’intéresser à des mentalités qui nous échappent, et dont le traitement aurait peut-être mérité une attention plus appuyée, ne serait-ce que par souci de représentation.
Bande-annonce
31 décembre 2025 – De Nelicia Low






