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MARCEL ET MONSIEUR PAGNOL

A l’apogée de sa gloire, Marcel Pagnol reçoit la commande d’une rédactrice en chef d’un grand magazine féminin pour l’écriture d’un feuilleton littéraire, dans lequel il pourra raconter son enfance, sa Provence, ses premières amours… En rédigeant les premiers feuillets, l’enfant qu’il a été autrefois, le petit Marcel, lui apparaît soudain. Ainsi, ses souvenirs ressurgissent au fil des mots : l’arrivée du cinéma parlant, le premier grand studio de cinéma, son attachement aux acteurs, l’expérience de l’écriture. Le plus grand conteur de tous les temps devient alors le héros de sa propre histoire.

Critique du film

Les films d’animation biographiques continuent d’avoir le vent en poupe dans le paysage français. Porté par cet air du temps, le nouveau long-métrage de Sylvain Chomet dédié à Marcel Pagnol arrive lui aussi avec cette promesse de faire dialoguer passé et présent à travers la figure de l’enfant, à la façon du Petit Nicolas. Mais alors que ce dernier traitait le garçon comme une figure entièrement fictive sortie de l’imaginaire de René Goscinny, le film de Sylvain Chomet laisse entrevoir une certaine ambivalence vis-à-vis du jeune Marcel. Apparaissant comme un fantôme au moment où le vieil écrivain décide de rédiger ses souvenirs de jeunesse, l’enfant se place comme double : double d’un passé authentique mais révolu, et double fictionnel d’un roman qu’il reste à écrire. Ce postulat scénaristique indique l’intérêt que porte le réalisateur aux multiples facettes professionnelles et personnelles de Marcel Pagnol, qu’il peine néanmoins à rendre compte dans leur ensemble.

La méta-fiction sert ainsi essentiellement de coup d’envoi à un récit chronologique de la vie de l’écrivain provençal, et les possibilités dialectiques sont vites écartées, peut-être par souci de ne pas perdre le jeune public. L’expression du jeune Marcel est reléguée à quelques réactions outrées ou amusées, et le film abandonne rapidement le regard contemporain et distancé sur les événements, préférant plonger entièrement dans l’ambiance nostalgique et teintée d’ivresse des premières décennies du XXe siècle.

C’est pourtant cette notion de regard qui fait défaut à l’œuvre de Chomet. Souhaitant retranscrire les aspects méconnus du génie de Marcel Pagnol, il s’attache à en montrer toutes les variantes (Pagnol-écrivain, Pagnol-ingénieur, Pagnol-cinéaste, Pagnol-professeur d’anglais, Pagnol-académicien), synthétisant sans omission la totalité de la vie de l’artiste, qui se retrouve bien à l’étroit dans un format de 90 minutes. Les rencontres, difficultés et réussites semblent glisser sur le protagoniste principal, aussitôt remplacées par un autre événement dans la scène suivante. Le défilé ininterrompu des personnages qui entrent et sortent du film à travers un déluge de mots et d’expressions bigarrées, – on décèle une certaine gourmandise de la part de l’équipe d’animation – participe à cette impression d’assister à une comédie humaine, certes chaleureuse, mais qui ne restitue jamais le poids des choses et des événements.

Marcel et Monsieur Pagnol

Le seul trait humain qui émerge, non sans humour, de cette situation, est certainement l’interrogation permanente de Pagnol sur la pertinence de son travail artistique, se demandant si son texte est drôle alors qu’on entend les tonnerres d’applaudissements depuis les coulisses, et doutant encore de son talent littéraire au moment d’entrer à l’Académie française. Le doute comme élément d’ancrage d’une vie tumultueuse a de quoi prêter à sourire, surtout dans un récit couvrant tous les échelons d’une grande carrière.

C’est d’ailleurs les séquences sur le génie au travail qui cristallisent l’étrange position dans laquelle se place le long-métrage. En effet, les répétition au théâtre, dont la longueur est plutôt inhabituelle dans l’animation, replacent les dialogues et la voix comme élément central de l’œuvre – celle de Chomet comme celle de Pagnol en général. Elles jouent sur le plaisir d’écouter la gouaille provençale qui remet le trivial et le concret au centre de la représentation théâtrale, et qui dynamite les conventions du milieu culturel parisien. Mais ces segments sont mis en scène depuis une place de spectateur assis dans son fauteuil. Un point de vue à mi-distance, qui capte ce qui se déroule dans son ensemble, sans sélection, sans positionnement autre qu’une appréciation respectueuse et en retrait.

L’agitation du verbe, sa capacité à réveiller les gens, sa force vive qui a convaincu Pagnol de faire du cinéma lorsqu’il est devenu parlant, aurait mérité de contaminer la mise en scène, d’infiltrer l’animation, de la secouer davantage pour en tirer autre chose que des expressions réalistes et des sentiments polis. On doit bien ça à Marcel.

Bande-annonce

15 octobre 2025 – De Sylvain Chomet

Avec les voix de Laurent LafitteGéraldine PailhasThierry Garcia