BERLINGUER, LA GRANDE AMBITION
Italie 1975. Enrico Berlinguer, chef du plus puissant parti communiste d’Occident, défie Moscou et rêve d’une démocratie nouvelle. Entre compromis historique et menaces venues de l’Est, le destin d’un leader prêt à tout risquer pour ses idéaux.
Critique du film
Partout en Europe, les sabots de l’extrême droite se font de plus en plus bruyants. En Italie, elle a accédé au pouvoir en 2022 sous les traits de Giorgia Meloni. La mise en place d’un programme ultra-conservateur et ultra-nationaliste a coïncidé, ces dernières années, avec un succès croissant dans les salles italiennes de films scrutant les carences laissées par le passé. Ainsi, dans un pays qui n’a pas connu de vague #MeToo comparable à celles des États-Unis ou de la France, cinq millions de spectateurs italiens se sont déplacés pour Il reste encore demain et sa représentation singulière des violences conjugales. Avec son demi-million d’entrées, Berlinguer – La grande ambition retrace un autre acte manqué : l’incapacité du Parti communiste à s’installer durablement au pouvoir.
Le réalisateur assume de filmer avec une certaine nostalgie ces années 1970 où le PCI gagnait des voix à chaque élection et semblait se rapprocher du pouvoir. Portées par la bande-son envoûtante et mélancolique du compositeur Iosonouncane, les images d’archives d’ouvriers au travail ou de foules manifestant fonctionnent à la fois comme le témoignage d’une ferveur populaire et comme la trace d’un futur rêvé par Berlinguer.
Ces extraits constituent également une ruse du cinéaste pour faire habiter le peuple italien dans son protagoniste : les deux sont rarement filmés dans un même plan. Les années flamboyantes du secrétaire du Parti communiste italien furent marquées par d’innombrables discussions et négociations internes auxquelles le grand public n’avait pas accès. Des épisodes tels que la rupture avec l’URSS ou l’alliance avec les chrétiens-démocrates dévoilent une classe politique opaque, aux rouages invisibles.

Ce paradoxe — celui d’un homme souhaitant incarner le peuple tout en demeurant à distance de lui (en témoigne son appartement cossu à Rome et son rôle de décideur) — semble pleinement conscientisé par le film. Les enfants de Berlinguer y deviennent les critiques de la nature inoffensive du parti de leur père, tandis qu’eux-mêmes descendent dans la rue pour manifester. Les cinéphiles y reconnaîtront la désillusion rouge qui formait déjà la toile de fond de Palombella rossa, ressorti en salle le 3 septembre.
Peu désireux de brosser un portrait intime de son sujet, Andrea Segre privilégie les discours publics et les tractations politiques au détriment des scènes domestiques. Sans les évacuer totalement, il choisit de cerner Berlinguer uniquement à travers ses prises de parole — qu’il s’agisse de discours fièrement prononcés devant de larges assemblées ou de négociations feutrées menées en coulisses. Le protagoniste ne cesse ainsi d’osciller entre l’hyper-sollicitation de sa persona et un désir irrépressible de s’extirper de son propre biopic.
Bande-annonce
8 octobre 2025 – D’Andrea Segre






