LOS TIGRES
Antonio et Estrella sont un frère et une soeur dont le destin est uni à la mer : il est scaphandrier, elle étudie les fonds marins et aide son frère sur le navire où il travaille. Bien qu’il risque sa vie tous les jours, sa situation financière est tendue, mais cela pourrait changer quand il trouve une cargaison de cocaïne cachée dans la coque d’un cargo coulé dans le port de Huelva.
Critique du film
Depuis La isla mínima (2014), Alberto Rodríguez s’est imposé comme l’un des maîtres du polar ibérique, mêlant rigueur formelle et radiographie sociale. Avec Los tigres, présenté en compétition à San Sebastian puis en première française au festival De l’écrit à l’écran, il poursuit ce sillon en plongeant dans les bas-fonds de l’Andalousie, retrouvant deux comédien·ne·s avec qui il a déjà collaboré : Antonio de la Torre, visage familier de son cinéma, et Bárbara Lennie, découverte chez Almodavar (La piel que habito) et Sorogoyen (El reino).
Ici, Rodríguez déploie un récit à la fois intime et politique, celui d’un frère et d’une sœur héritiers d’un père que l’on devine autoritaire, écrasés par un passé dont ils n’arrivent pas à se libérer. Antonio, plongeur industriel, risque sa vie chaque jour sur les chantiers portuaires. Estrella, biologiste marine, s’est toujours effacée, d’abord pour accompagner les dernières années de leur père, puis pour veiller sur son frère peinant à se remettre de son divorce, repoussant ses propres aspirations. Leur fragile équilibre bascule lorsqu’ils découvrent, dissimulée dans la coque d’un cargo immobilisé, une cargaison de cocaïne qui pourrait changer leur vie – mais dont l’ombre criminelle attire la violence.

Rodríguez filme avec une précision quasi documentaire les gestes, les tracas et la fatigue de ces existences cabossées. Le film vaut autant pour la tension de ses scènes d’immersion sous-marine – haletantes, filmées comme des descentes dans les enfers – que pour la justesse des séquences entre frère et sœur, où s’exprime une solidarité douloureuse mais indéfectible. Antonio de la Torre livre un rôle tout en détermination contenue, Bárbara Lennie lui oppose une retenue poignante, incarnant le sacrifice et la lucidité.
S’il embrasse les codes du polar, Los tigres trouve sa singularité dans ce portrait familial marqué par la précarité, les non-dits et la transmission des blessures. En refusant le spectaculaire gratuit, Rodríguez signe un drame social rugueux, où le thriller se met au service d’une question essentielle : que reste-t-il à celles et ceux qui, toute leur vie, ont appris à survivre plutôt qu’à exister ?
31 décembre 2025 – D’Alberto Rodriguez






