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PAULINE LOQUÈS | Interview

Sur la plage de la Semaine de la critique, le vent marin se mêle au tumulte du Festival de Cannes. À quelques heures de la présentation officielle de Nino, son premier long métrage, Pauline Loquès prend le temps d’un échange d’une dizaine de minutes. Elle y confie l’origine intime de son film, né d’un deuil, mais porté par un désir de lumière et d’espoir.

Nous avons eu la chance de voir Nino quelques jours avant le festival, ce qui permet de laisser le film mûrir. De votre côté, vous avez déclaré que c’est un projet qui a beaucoup mûri en vous et qui vient au départ de quelque chose de très personnel.

Pauline Loquès : Oui, c’est né d’une perte, d’un deuil. J’ai perdu un proche, un jeune homme de ma famille, emporté par un cancer très agressif dans sa trentaine. J’étais à la fois triste et en colère contre la vie, avec un fort sentiment d’injustice. J’ai commencé à écrire pour retrouver un peu d’espoir. C’est ainsi que le personnage de Nino s’est imposé à moi. Je l’ai imaginé recevant un diagnostic similaire, et j’ai voulu le suivre de près dans les jours qui suivent cette annonce.

Malgré tout, j’avais envie de faire un film lumineux, porteur d’espoir. Je voulais explorer l’idée que la maladie puisse, d’une certaine façon, être aussi une opportunité. Pas seulement une tragédie.

On pourrait craindre un film très sombre, mais Nino n’est pas tant un film sur le cancer que sur le retour à la vie. Il y a une dimension cathartique.

P. L. : Oui. La vie ne s’arrête pas avec un cancer. Je voulais éviter la « chape de plomb » qui pèse sur certains récits. Nino continue à sortir, les gens autour de lui vivent toujours. Fondamentalement, il n’a pas beaucoup de symptômes : tout a basculé, mais rien n’a changé. Le film observe comment, en trois jours, son regard évolue sur ses amis, ses relations passées, sa mère. Ce qui m’intéressait, c’était la vie quotidienne, les liens sociaux. Le cancer n’est finalement qu’un point de départ, l’annonce et le début du traitement.

La brutalité de cette annonce est marquante. Le spectateur est pris de court, comme lui. Et cela reflète peut-être aussi la situation des soignants en France, souvent débordés.

P. L. : Oui, je voulais un peu de réalisme. Cette scène a beaucoup divisé au montage : certains médecins m’ont dit que ce n’était pas représentatif, d’autres spectateurs ayant connu la maladie ont reconnu au contraire leur propre expérience. Le problème vient surtout du système et du manque de moyens. La docteure a déjà une solution, un plan pour lui : elle est dans l’action, alors que lui est dans le choc. Ce décalage crée un moment de grande maladresse, mais aussi d’humanité.

Il y a un travail fort sur le son et sur la manière de filmer la ville : la vie continue, mais lui est sonné.

P. L. : Exactement. Nous avons beaucoup travaillé sur ce qu’il entend ou n’entend pas, sur l’hostilité de la ville, et sur ces lieux clos où il cherche refuge : toilettes, salles de bain. À Paris, on n’est jamais seul. Trouver un refuge devient une quête.

Il cherche donc des refuges, géographiques mais aussi humains. C’est le fil rouge du film.

P. L. : Oui, il passe son temps à les chercher.

Parlons du casting. Aviez-vous pensé à Théodore Pellerin dès l’écriture ?

P. L. : Non. Je n’avais personne en tête. C’est en travaillant avec Luna de Berestier, la directrice de casting, qu’elle m’a parlé de lui. Je ne le connaissais pas. Un soir, j’ai lancé un de ses films et je n’ai pas pu m’arrêter : il est d’une intensité incroyable. Quand je l’ai rencontré, il m’a tout de suite touchée par sa sincérité et sa douceur.

À la lecture, il a eu un vrai coup de cœur pour Nino. Moi, en tant que femme plus âgée, mère de deux enfants, je n’étais pas sûre de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un jeune homme dans cette situation. Théodore a apporté cette justesse. Il a ce corps vaillant, mais sa vulnérabilité est intérieure.

Et pour les autres comédien·ne·s ?

P. L. : Là aussi, c’est surtout une histoire de rencontres. J’ai vraiment choisi au coup de cœur, humain avant tout. Nous avons adapté le planning aux disponibilités des acteurs, parfois même commencé par tourner la fin. Ce que j’ai recherché chez chacun, c’est la simplicité, la gentillesse, l’humilité.

Chose rare, tous m’ont parlé de Nino avant même d’évoquer leurs propres rôles : ils étaient touchés par lui. Cela m’a beaucoup émue. William (Lebghil), par exemple, incarne un personnage maladroit, mais avec une grande tendresse. Il apporte une profondeur nouvelle, au-delà du registre comique pour lequel il était connu. Quant à Salomé (Dewaels), je la voulais très terrienne, puissante malgré sa jeunesse. J’ai pris soin de créer entre eux une atmosphère amicale et respectueuse. Quand les acteurs s’aiment déjà dans la vie, cela se ressent à l’écran.


Propos recueillis et édités en mai 2025 à Cannes pour Le Bleu du Miroir