LE BOUCHER
Dans un village du Périgord, la vie quotidienne des habitants cesse brusquement d’être tranquille. Des femmes sont égorgées. Par qui ? Le boucher, qui a fait les guerres d’Indochine et d’Algérie, semble devenir le suspect numéro un aux yeux de la directrice d’école, qui ressentait pour lui de tendres sentiments.
Critique du film
Réalisé en 1970, juste après Que la bête meure et avant La Rupture, Le Boucher a été écrit et dialogué par Claude Chabrol lui-même, et produit par André Génovès, son collaborateur sur de nombreux films, dont certains comptent parmi les plus grands chefs-d’œuvre du réalisateur (La Femme infidèle, Juste avant la nuit, et bien sûr Le Boucher, sans conteste l’un des sommets de sa filmographie).
Le générique d’ouverture défile sur la musique inquiétante de Pierre Jansen, compositeur attitré de Chabrol sur nombre de ses films. Il signe ici une bande-son étrange, parfois dissonante, tandis que défilent des images de peintures rupestres. Celles-ci situent l’histoire dans le Périgord, mais annoncent aussi une violence ancestrale, sauvage, inhérente au genre humain en tout temps et en tout lieu.

Lors d’un mariage, Hélène, institutrice et directrice de l’école communale, fait la connaissance de Popaul, le boucher de la petite ville. Très vite, des liens d’amitié se nouent entre ces deux célibataires. Ils apprennent à se connaître, malgré leurs différences. Hélène (Stéphane Audran) est lumineuse, affranchie, et aime son célibat — même s’il est surtout consécutif à une blessure d’amour. Popaul (Jean Yanne), plus gauche, évoque souvent ses souvenirs de guerre — il a fait l’Indochine et l’Algérie, deux expériences qui semblent l’avoir profondément marqué. Mais lorsque des femmes sont assassinées de façon particulièrement violente, à l’arme blanche, Hélène en vient à soupçonner Popaul d’être l’auteur de ces crimes…
Claude Chabrol a exploré différents styles au fil de sa filmographie, n’hésitant pas à recourir à l’outrance ou à un certain humour noir. Rien de tout cela dans Le Boucher : le ton y est sobre, la caractérisation des personnages, subtile. Ce n’est pas la bourgeoisie qui est ici épinglée. Nous sommes dans un village, parmi des gens ordinaires, de la classe moyenne. Il y a même une forme de délicatesse, voire de tendresse, dans le regard porté sur les personnages.

S’il existe une intrigue criminelle dans Le Boucher — très bien menée au demeurant —, l’aspect policier ne constitue pas le seul attrait de cette œuvre belle et singulière. L’étude de caractères et la dimension psychologique enrichissent cette histoire dans laquelle Chabrol dévoile une sensibilité rarement exprimée dans ses autres longs-métrages. Par l’empathie qu’il témoigne à ses personnages, sans jamais porter de jugement sur leurs actes, le cinéaste fait de Le Boucher un film d’amour et sur l’amour : celui qu’on porte à quelqu’un qu’on découvre peu à peu, pour le meilleur et pour le pire ; l’amour ou l’empathie que l’on éprouve aussi pour celui qui est peut-être un salaud, un criminel. Évitant tout jugement hâtif, Claude Chabrol nous rappelle au passage que les monstres le deviennent bien souvent après avoir été eux-mêmes des victimes.
Porté par l’interprétation de Stéphane Audran et de Jean Yanne, Le Boucher bénéficie également d’une mise en scène au cordeau, où beaucoup de choses sont suggérées. Jamais on ne s’appesantit sur un détail. Comme déjà évoquée, la partition musicale, très réussie, instaure une impression d’inquiétude latente, comme si quelque chose allait se rompre. Formellement très soigné, offrant une histoire intense et ambiguë — voire dérangeante, dans le bon sens du terme, en ce qu’elle bouscule les certitudes — Le Boucher représente une des pierres angulaires de l’œuvre chabrolienne.
Bande-annonce
9 juillet 2025 (ressortie) – De Claude Chabrol, avec Stéphane Audran, Jean Yanne
Rétrospective de 12 films de Claude Chabrol






