DES FEUX DANS LA PLAINE
Chine, 1997. Une série de meurtres endeuille la ville de Fentun. Les crimes s’arrêtent mystérieusement sans que les autorités aient pu élucider l’affaire. Huit ans plus tard, un jeune policier, proche d’une des victimes, décide de rouvrir l’enquête.
Critique du film
Un chauffeur de taxi qui renseigne la police, une ville sinistrée par la désindustrialisation, des sentiments qui ne se disent pas, des flics solitaires et des feux de joie sans joie, voici le cocktail dépressif de ce polar social qui, dans une seconde partie, lézarde sa toile d’une violence désespérée. Dans cette ville du nord de la Chine, les usines ferment les unes après les autres et la grisaille habille une sorte de funeste fatalité. Jiang enquête sur une série de meurtres par strangulation qui décime les chauffeurs de taxi. La figure du policier s’efface rapidement pour s’intéresser à Shu, un jeune chauffeur qui fait office d’indicateur. Autour de lui, le cercle des personnages s’élargit progressivement, à ses parents et ses voisins.
Trois quarts d’heure durant, Ji Zhang tisse, à travers ses protagonistes, le portrait de fin de siècle d’une société exsangue et corrompue. Le modèle parental est éclaté, la jeunesse perdue, l’horizon bouché. Les sentiments semblent n’avoir plus aucun espace pour s’exprimer. Shu et Fei, sans mot dire, se rapprochent. Elle rêve d’ailleurs, direction le Sud, avec sa mère à lui, femme placide à la fibre artistique et son père à elle, ouvrier fraîchement licencié. Elle imagine une recomposition familiale où l’amour s’imposerait enfin. Cette première partie est un grondement sourd, un champ de ruines sur lequel le récit jette, épars, motifs et indices, fausses pistes et voies sans issue. On retient une paire de gants, le logo d’une marque de cigarettes, une liasse de billets, un baiser esquivé et un rendez-vous fixé, le 26 décembre 1997 à 22h, au lieu même où sévit l’étrangleur. On retient aussi, côté mise en scène, les reflets et les surcadrages ,l’enfermement et la projection, double effet paradoxal qui renforce la sensation qu’un verrou doit sauter.
Avant une ellipse de huit ans, la séquence pivot concentre et libère toute la tension accumulée, elle se conclut, en lieu et place d’un feu de joie, par une explosion de violence. Dans la neige, les flammes et le sang, le destin bascule. La violence est à la fois une éruption est un engrenage. Devenu policier à son tour, Shu n’a qu’une chose en tête, retrouver Fei. Pour cela, il demande la réouverture de l’enquête suite au décès de Jiang. Quête et enquête, la forme d’une vie cachée sous l’uniforme. Fei et son père se sont installés dans une cavale immobile. Comble de la désolation, leurs corps cassés se fondent dans le décor d’un quartier d’ombres et de rebuts.

Sans perdre tout à fait sa belle et triste trajectoire, le film ouvre, comme ça, des pistes le menant un peu vers le film de zombies, un peu vers le fétichisme cronenbergien, un peu vers la romance contrariée (le magnifique Burning de Lee Chang-Dong). Par petites touches, il tente de se déplacer dans un univers déjà bien labouré par le cinéma de genre sans jamais réussir à complètement s’affranchir d’un sentiment de déjà-vu. On reste beaucoup plus intéressés par une mécanique du déclassement qui dit quelque chose d’une violence systémique de la société chinoise que par les embardées sanglantes et les chocs à répétition qui ajoutent une dose de complaisance à la cruauté.
Cependant, le film tient par les échos des motifs disséminés de part et d’autre. Ainsi on repense aux gants de Fei comme une intuition de protection et plus encore à ce plan de son bras gauche glissé sous une grille d’un guichet bancaire comme le cou du condamné est présenté sous la guillotine. « Je te trouve un peu bête » répondait Shu à Fei lors d’une conversation somme toute banale. C’est en bête blessée qu’il la retrouve, par-delà les ans et les accidents. Plus loin, une paire de sandales renvoie au rêve d’un Sud fantasmé. Des feux dans la plaine peut aussi être vu au prisme d’un romantisme sec, déployant force obstacles avant de rendre possible l’accomplissement d’un baiser. Jiang avait averti Shu : si tu continues comme ça, soit tu finiras en taule, soit tu crèveras de banalité. Il choisit de menoter sa vie à l’intensité, au bord de la brûlure.
Bande-annonce
9 juillet 2025 – De Ji Zhang






