still_trans-memoria

TRANS MEMORIA

Victoria remonte le temps pour comprendre ce qui la définit en tant que femme et se confronte alors au deuil de son amie Meril. Le film devient un espace pour partager sa douleur et les souvenirs de son opération avec Athena et Aamina, elles-mêmes au début de leur propre parcours de transition. En retournant en Thaïlande, elles partent à la recherche des fantômes du passé et d’un futur meilleur.

Critique du film

Nous sommes en Thaïlande, une destination privilégiée par de nombreuses femmes transgenres pour effectuer leur opération de changement de sexe grâce à la qualité et l’expertise de ses chirurgiens. La chambre de la clinique est vide, fantomatique. Dehors, la plage est totalement déserte. Victoria Verseau, femme transgenre, réalisatrice du film, documente sa vaginoplastie en gommant toute trace d’exaltation. Cette mise en scène froide et distante résulte sur deux symptômes. 

Le premier est la chronologie des évènements. La gestation du film a été longue de plusieurs années, la forme du long-métrage ne s’étant imposée qu’en cours de route. Cette longue recherche identitaire, en plus d’être très à-propos, est illustrée par la présence d’images d’origines différentes dans le film. La cinéaste brouille la frontière entre fiction et documentaire en glissant des prises de vue réalisées avec deux actrices non-professionnelles qui jouent chacune deux rôles simultanément et des vidéos d’archives, tournées dès 2012. Dans ces dernières, c’est toute la douleur post-opératoire et les doutes qui jaillissent. 

Pour que sa cavité vaginale ne se renferme pas, il lui est prescrit de régulièrement insérer un dilatateur dans son orifice. En clair : pour apprivoiser pleinement son corps, il lui est nécessaire de toujours fournir des efforts. L’exercice se révèle perpétuel, incapable de pleinement aboutir. Derrière cette procédure interminable, il y a aussi le vide provoqué par le constat amer que la chirurgie ne lui a pas suffi pour trouver sa place dans le monde. Le monde de Victoria reste vacillant et incertain, à l’image de son vagin qui s’est refermé à cause de son manque d’efforts, justement. Elle qualifiera celui-ci comme quelque chose de « pourri ». Cet état de dépérissement sous-tend tout le récit. Le sexe se replie sur lui-même, comme le nombre minimal de personnages à l’écran renvoie à un monde recroquevillé sur lui-même, tandis que le deuil de la réalisatrice rabat constamment le passé sur le présent. 

trans memoria

Le deuxième symptôme est la démarche même de la réalisatrice, qui est travaillée par ce qui n’est pas là ou plutôt ce qui n’est plus là. Trans Memoria est chargé d’une mission inexécutable : ramener les morts à la vie. Lors de son séjour à la clinique thaïlandaise, elle partage sa chambre avec Meril, une jeune femme française effectuant, elle aussi, sa vaginoplastie, et avec qui elle nouera rapidement une amitié. Le suicide de Meril laissera un trou béant dans la vie de Victoria. Pour tenter de le combler, elle convoque la défunte via de nombreux stratagèmes. Le plus évident est son évocation constante au travers de discussions ou de souvenirs. L’amie disparue devient paradoxalement omniprésente et presque familière avec le spectateur. 

Le monopole de l’écran par le vide était déjà au cœur de son court-métrage Approaching a Ghost. Verseau y creusait déjà le sillon du home movie pour mettre en scène un soi muet et paralysé. Son personnage était totalement absent de l’image et subsistait exclusivement grâce à ses murmures en voix off. La nouveauté de ce long, est l’apparition d’une réflexion autour de la véracité du documentaire. Dans Trans Memoria, les scènes au présent sont occupées par Aamina et Athena, deux femmes qui effectuent à leur tour leur transition de genre, quelques années après Victoria. La cinéaste les suit et leur assure qu’elle documente leur vie à elle. Mais les instructions de Victoria Verseau vont très vite trahir sa réelle ambition qui est de recréer devant la caméra son histoire avec Meril. Aamina finira par souligner l’ambiguïté de la démarche, ce qui forcera la réalisatrice à explorer son deuil d’une autre manière. 

Durant une scène, Victoria Verseau explique que la réalisation de ce court-métrage lui donne de l’espoir. Malgré son ambiance sombre, Trans Memoria serait donc vu par sa créatrice comme le coup de pied au fond de la piscine qui permet de remonter à la surface ? Finalement, son film offre un regard radicalement différent et profondément humain sur les personnages transgenres au cinéma. Face aux assauts conservateurs de plus en plus véhéments un peu partout dans le monde, face à l’effacement des droits des personnes transgenres par Donald Trump aux Etats-Unis ou la décision de la Cour suprême britannique de définir les femmes selon leur sexe de naissance, la réalisatrice apporte un portrait d’une complexité inouïe bienvenue face aux discours simplistes et réactionnaires. 

Bande-annonce