1 ANNÉE, 1 FILM | L’année 1953
Explorer l’histoire du cinéma par fragments, au gré des années et des hasards. Avec 1 année, 1 film, la rédaction du Bleu du Miroir se prête à un jeu cinéphile : choisir chaque semaine une année différente — aléatoire — et y associer un film. Classique indémodable, pépite oubliée, œuvre culte ou curiosité méconnue : une manière de raconter le cinéma autrement, à travers les ellipses du temps.
Le salaire de la peur

La reco’ d’Eric
Marqué par la noirceur habituelle du cinéma d’Henri-Georges Clouzot, Le Salaire de la peur constitue un immense morceau de cinéma d’aventure qui flirte, malgré un enjeu à priori très concret, avec l’absurde et la métaphysique. Qu’est-ce qui motive ces hommes à jouer leur vie, à danser avec la mort, le danger permanent ? Visuellement superbe, dans un noir et blanc qui en renforce le désespoir, le nihilisme, le film bénéficie d’une longue introduction qui, loin de le desservir, va mettre en exergue un suspens qui va crescendo, pour devenir réellement insoutenable. Le Salaire de la peur a obtenu en 1953 la Palme d’Or au Festival de Cannes. – EF
Niagara

La reco’ d’Antoine
Le statut de légende de Marilyn Monroe aura longtemps éclipsé une réalité pourtant évidente : son incroyable talent de comédienne ! Niagara d’Henry Hathaway en est la preuve éclatante. C’est le film qui opère définitivement la métamorphose de la jeune Norma Jean Baker en icône hollywoodienne. Étonnamment, son temps de présence à l’écran y est relativement restreint. Pourtant, son aura magnétique irradie chaque photogramme, imposant une présence évanescente, presque mythologique — ce que la promotion de l’époque ne manquait pas de souligner, osant la comparaison (peu subtile) entre les chutes du Niagara et la chute de reins de l’actrice !
Dans cette intrigue aux accents hitchcockiens, un jeune couple en pleine lune de miel se retrouve malgré lui mêlé à une histoire d’adultère aux conséquences fatales. Le scénario classique d’un film noir, est constamment réhaussé par la tension que Monroe fait naître à chacune de ses apparitions. Tour à tour manipulatrice, sensuelle, puis tragique, elle transcende son rôle pour incarner la violence du désir et les ombres de la fatalité. En s’appropriant un personnage de femme fatale assez unidimensionnel sur le papier, elle lui insuffle une ambiguïté rare pour l’époque, bousculant au passage les mœurs puritaines habituellement véhiculées par ce type de productions. Niagara n’est pas seulement un thriller à découvrir pour son efficacité ; c’est le miroir trouble dans lequel une comédienne construit sa légende. – AR
Quo Vadis

La reco’ de Fabien
Revoir Quo Vadis aujourd’hui, c’est replonger totalement dans le cinéma des studios hollywoodiens des années 50. Il est en effet indispensable de remettre le film dans son contexte historique. Nous sommes au début de la Guerre Froide et McCarthy est en pleine ascension, alors, même si le projet d’une nouvelle adaptation du roman de Henryk Sienkiewicz par la MGM datait de la fin des années 30, il est difficile de ne pas retrouver une forte influence de l’époque dans le rendu final du film. On le sait, dans les péplums le cadre historique sert avant tout de prétexte, Quo Vadis ne fait pas exception à la règle et pousse à fond les curseurs pour décrire un Empire romain dirigé par le cruel et extravagant Néron qui persécute les premiers chrétiens. Le sous-texte est à peine voilé, d’autant plus quand on sait que le roman original était déjà une allégorie de l’oppression russe en Pologne. Quo Vadis ne cache pas son puritanisme et vante la parole de Dieu face à la dépravation de Néron.
Outre le témoignage sur le fond d’une époque, revoir Quo Vadis a également un autre intérêt, plus reluisant, celui de redécouvrir la grandeur des superproductions des années 50. Tourné à la Cinecittà, il initiera une nouvelle vague de péplums à grand spectacle. Budget faramineux, décors grandioses, costumes par dizaines de milliers, le tout filmé en Technicolor avec son rendu des couleurs si particulier, Quo Vadis est un ravissement pour les yeux. Et puis il y a Peter Ustinov, incomparable d’outrance en Néron, au point de voler totalement la vedette au couple Robert Taylor/Deborah Kerr. Il est dans l’inconscient populaire LE Néron du cinéma, et ce n’est pas pour rien. – FG
Madame de…
La reco’ de François-Xavier
Règlement de comptes

La reco’ de Tanguy
Les lapalissades vont bon train lorsqu’on évoque Fritz Lang, mais il est toujours fascinant de constater dans sa filmographie le piratage des plus grandes formes du cinéma classique. Dans Règlement de comptes, tout ressemble aux films noir traditionnels américains. Tout ? Peut-être pas finalement. Pour raconter son récit de corruption au sein de la police, le réalisateur autrichien sacrifie petit à petit les archétypes et crée un ensemble homogène, où il devient difficile de savoir qui est policier et qui est un criminel. Les ensembles taillés sur mesure et les décors luxurieux des grands appartements des hommes d’affaires sont légion, au contraire des pauvres décors de bureaux de police qu’on ne voit que trois fois dans le film. L’enquête de l’inspecteur protagoniste, droit dans ses bottes et farouche opposant aux pots-de-vins des mafieux du coin, va flirter progressivement avec les frontières de la Loi pour découvrir l’infâme vérité derrière les crimes qui frappent son entourage proche. Comme dans L’invraisemblable Vérité, que Lang fera trois ans après ce film, tous les chats deviennent gris, et une forme d’ambiguïté point, rendant complexe la morale et pervertissant les chartes de bonne conduite du cinéma hollywoodien inondé dans les années 1950 par le code Hays. Si Règlement de comptes n’est pas le film le plus connu de son auteur, ni même l’un de ceux qui reviennent le plus lorsqu’on évoque l’année 1953, il reste un indispensable absolu dans l’Histoire du thriller américain, et propose en outre dix dernières minutes jubilatoires, à la lisière du cinéma d’épouvante.
Stalag 17

La reco’ de Sam
Sorti en 1953, Stalag 17 de Billy Wilder demeure l’un des plus brillants exemples de cinéma hollywoodien mêlant suspense, humour et critique sociale. En situant son intrigue dans un camp de prisonniers de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, Wilder évite le manichéisme pour livrer un récit aussi tendu que caustique, porté par une mise en scène fluide et une direction d’acteurs remarquable. William Holden, oscarisé pour son rôle de sergent soupçonné de trahison, incarne une figure ambivalente et moderne, loin des archétypes héroïques de l’époque. Par son mélange unique de comédie noire, de drame paranoïaque et d’étude de groupe, la redécouverte de Stalag 17 permet de renouer avec l’intelligence narrative et la virtuosité d’un auteur qui savait divertir tout en piquant au vif les certitudes de son époque. – SN
Les Contes de la lune vague après la pluie

La reco’ de Theo
Les Contes de la lune vague après la pluie est une odyssée fantômatique se réappropriant les thèmes littéraires fascinants propres à la plume d’Ueda Akinari. Dans le long-métrage de Mizoguchi, ce ne sont pas tant les entités spectrales qu’il faut craindre mais davantage les vices des hommes bien en vie. Deux d’entre eux sont confrontés à un dilemme : poursuivre leur désir égoïste quitte à tromper ou se faire tromper tout en abandonnant ceux qu’ils aiment. Une sorte de brume épaisse enveloppe le long-métrage, évoquant sans cesse un monde éthéré à peine dissimulé. Une réalité aussi flottante que cette barque devenue emblématique, glissant sur des eaux grises à la texture nébuleuse. Cette frontière poreuse entre l’existant et l’immatériel donne du sens aux contes adaptés par Mizoguchi : leur caractère fantastique n’est jamais qu’une allégorie des émotions humaines telles qu’elles étaient autrefois décrites dans les yomihon de l’ère Edo. Aujourd’hui encore, Les Contes de la lune vague après la pluie reste un récit mythique, s’attaquant à une morale toujours bien humaine malgré un cadre défiant sans cesse le réel. – TK
Le petit fugitif

La reco’ de Matthieu
Le Petit Fugitif est un concentré d’enfance, dont l’errance est filmée à hauteur de son sujet. Drame espiègle, il recelle les craintes et les angoisses liées à ce jeune âge et les analyse avec sérieux, sans se perdre dans l’attendrissement ou le second degré. Le caractère intemporel du film ne vient pas de la fugue du petit protagoniste – on imagine mal qu’elle puisse encore avoir lieu aujourd’hui -, il est plutôt à mettre sur le compte de la remarquable mise en scène. Son beau noir et blanc expressionniste apporte une charge nostalgique qui rappelle l’imagerie insouciante et romanesque de la photographie de rue de la deuxième moitié du 20e siècle. C’est un bel exemple de film qui charme et captive les adultes autant que les enfants. – MT




