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TIMBUKTU | Le film de Sissako méritait-il un tel sacre ?

Timbuktu vaut-il sept César ?

Le triomphe de Timbuktu, couronné de sept compressions dorées, a marqué la 40e édition des César. En décembre, dans sa critique élogieuse du film, Julian déplorait que le film de Sissako ait été « injustement oublié » du palmarès du dernier Festival de Cannes. Neuf mois plus tard, les votants des César ont, d’une certaine manière, réparé cette omission. Une telle razzia me laisse tout de même perplexe. 

> > > Lire aussi : La critique de Julian sur Timbuktu à la sortie du film.

Combien de César étaient mérités d’un point de vue artistique et technique ?

Les statuettes accordées à la photographie et au travail ne sont pas usurpées. En revanche, que le scénario et le montage de Timbuktu aient été considérés comme meilleurs que ceux de Sils Maria, Bande de filles ou Les Combattants est moins compréhensible. Doté d’un matériau d’une richesse incontestable, Sils Maria aurait logiquement dû remporter le prix du meilleur scénario. Avec son montage fluide et dynamique, Les combattants aurait dû, lui, être préféré à celui de Nadia Ben Rachid. Enfin, les groupes Para One et HitNRun apparaissaient comme des lauréats plus crédibles. Quitte à envoyer un signe fort de modernité, pourquoi ne pas les avoir choisis aux dépens de la partition musicale assez passe-partout d’Amine Bouhafa ? Enfin, s’il fallait consacrer une mise en scène, celles d’Olivier Assayas ou de Céline Sciamma méritaient bien davantage les honneurs de la profession.

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« Timbuktu » aborde-t-il le sujet du djihadisme avec pertinence ?

En observant de près Timbuktu, les faiblesses de son montage, de sa direction d’acteurs et de son scénario m’ont sauté aux yeux. Le film de Sissako n’est rien d’autre qu’un enchaînement de scénettes et de situations vécues par la population mauritanienne. De l’aveu même de son auteur, le scénario qu’il a soumis était plutôt faible. Son long-métrage manque de chair, de fluidité et d’ampleur, mais également de rythme. Vendu comme une sorte de « docu-fiction » teinté d’envolées lyriques, Timbuktu n’a ni les qualités, ni la force de l’un ou de l’autre. Sissako éveille-t-il vraiment les consciences ? Qu’illustre le film qui n’ait pas déjà été raconté ou montré ? La prise de recul peut être un gage de sagesse mais dans ce cas précis, elle est plutôt la marque d’un manque de férocité (nécessaire à un tel sujet).  

Le film reste en surface lorsqu’il s’agit d’esquisser le portrait de ces djihadistes déboussolés. Il propose là un regard insuffisamment affuté sur un phénomène hautement plus complexe. Vouloir les tourner au ridicule en pointant du doigt leur application bornée de la charia ou leur obsession grotesque pour les interdictions (pas de foot, pas de musique, femmes gantées et voilées) et les codes (usage de l’arabe sans sa maîtrise…) n’est pas stupide. Mais il ne fallait pas s’arrêter là. L’action de ces terroristes est résumée à la bêtise et à la confusion des esprits alors que le danger que les intégristes religieux représentent appelait un traitement plus courageux.

Tragédie, comédie et poésie sont souvent très liés dans l’art. Ce triangle fort a régulièrement permis l’émergence d’oeuvres extraordinaires issues de l’esprit brillant de nombreux cinéastes sur des sujets tout aussi graves. Malheureusement, Sissako n’est (pour l’instant) pas de cette trempe là. 

Peut-on critiquer Timbuktu ?

Je l’espère. Ne vous y trompez pas, je ne cautionne en rien les actes barbares et l’oppression perpétrés au nom d’un dieu qui prône pourtant la bienveillance, le pardon et l’indulgence. Le message que souhaite donner Sissako à son oeuvre est aussi honorable que bienvenu en ces temps difficiles. Toutefois, pour ce faire, il est souvent recommandable d’aller au delà du simplisme, surtout lorsque l’on s’épanche continuellement dans de grandes tirades politiques.

Timbuktu manque d’épaisseur et c’est bien là où le bât blesse. Inconsistant, le film ne m’a jamais vraiment ému ni même captivé. Si Sissako a veillé à éviter de verser dans le pathos, il en oublie pourtant d’étoffer son discours, d’enrichir l’écriture de ses personnages et de donner du liant à cette galerie disparate de séquences inégales. Plus que l’idée (grandement défendable), c’est le traitement qui n’est pas à la hauteur. Jamais le cinéaste ne déclenche le moindre sentiment de révolte. Tout au mieux, il nous entraîne bon an mal an vers l’indifférence puis la catatonie – à l’image de ses protagonistes.

Le sujet plus fort que le film ?

Probablement. Sissako a souhaité proposer une oeuvre noble et pudique. Malheureusement, celle-ci reste insuffisamment fouillée. L’Académie a préféré saluer sa démarche humaniste plutôt que d’intégrer le critère de la qualité artistique. Récompenser un sujet plus qu’un film. Un tel plébiscite reste contestable lorsqu’il ne va pas de pair avec la légitimité.

En ces temps où l’obscurantisme religieux pousse aux actes cruels et violents (exactions de Boko Haram, attentats à Charlie Hebdo…), ce choix apparaît davantage comme un signal politique, une volonté des votants de mettre en avant un message (aussi simpliste soit-il) plutôt qu’une oeuvre. À moins que, plus cyniquement, l’on n’envisage la possibilité que certains membres aient été pris d’un élan de bonne conscience, décidés à prendre quelques minutes pour penser à l’Afrique, entre deux petits fours.

La fiche

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TIMBUKTU
Réalisé par Abderrahmane Sissako
Avec  Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri…
France, Mauritanie – Drame
Sortie en salle : 10 Décembre 2014
Durée : 105 min




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Marla
9 années il y a

Bon, tu es déçu pour Sils Maria, et moi aussi. Je pense que les César auraient pu être mieux partagés. Mais le sujet de Timbuktu est loin d’être simpliste: http://marlasmovies.blogspot.fr/2014/12/timbuktu-chant-de-colere.html

tinalakiller
9 années il y a

J’ai vu Timbuktu hier, et j’ai été très déçue, surtout avec un tel triomphe aux Césars. J’ai trouvé le propos fort (justement trop fort), il y a des choses intéressantes techniquement (c’est bien filmé, les paysages sont beaux, j’ai trouvé quelques scènes très belles) mais le scénario est vraiment faible (ça part dans tous les sens) et surtout qu’est-ce qu’on s’emmerde…

Moncadas
8 années il y a

Merci Thom,
Tout est dit. Personnages creux, assemblage de séquences postales, montage nul (Je suis chef-monteur) et fixité hyper lointaine du cadre qui nous fait jamais rentrer dans la danse des acteurs.
Sans parler du jeu. Mon dieu le jeu… quel mauvais casting et quelle mauvaise direction !

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