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MICHEL OCELOT | Interview

De projet en projet, Michel Ocelot confirme son amour pour le conte, la rencontre des cultures et l’animation. Depuis le succès de Kirikou et la sorcière en 1998, sa carrière semble avoir trouvé son rythme de croisière : un long-métrage tous les six ans environ et dans l’intervalle, une incursion dans des formats plus courts. Ainsi, entre le magnifique Azur et Asmar et Dilili à Paris, récompensé par le César du meilleur film d’animation en 2019, nous avons pu découvrir au cinéma Les Contes de la nuit, collection d’« historiettes » (comme les nomme affectueusement le réalisateur) reprenant l’esthétique du théâtre d’ombres. C’est à l’occasion de la sortie de son dernier long-métrage, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, que le cinéaste, récemment auréolé d’un Cristal d’honneur lors du dernier festival d’Annecy, nous a accueilli dans son studio, à Paris.

Dans votre nouveau film, vous réunissez trois histoires très différentes du point de vue de l’approche visuelle et du cadre fictionnel. Vous vous aventurez également dans le format du moyen-métrage, que vous n’aviez pas exploré jusqu’ici. Était-ce quelque chose qui vous tenait à cœur depuis longtemps ?

Michel Ocelot: Il y a deux raisons principales qui m’ont conduit à réaliser ces trois histoires. J’avais tout d’abord envie de faire quelque chose de plus léger après la sortie de Dilili à Paris, qui était une production assez importante. Parallèlement à cela, j’ai été amené, depuis quelques années, à rencontrer de jeunes personnes que j’ai à demi-élevées par le biais de mes œuvres. Ces personnes, qui me rencontrent avec sympathie et émotion, me parlent très bien de ces histoires, même des plus petites dans Princes et Princesses et Les Contes de la nuit. Je pense qu’il ne faut pas considérer le long-métrage de fiction comme une obligation absolue. J’ai réuni dans mon nouveau film trois histoires différentes, sans aucun lien entre elles, mais ce sont tout de même trois histoires complètes.

Les trois contes ne partagent pas de liens scénaristiques, mais ils ont tout de même en commun la question de l’injustice…

Je veux qu’on se libère, je ne veux pas qu’on se laisse faire, je veux qu’on grandisse. Un peu toutes mes histoires sont comme ça. J’ai pensé réaliser des œuvres aux thématiques très différentes, mais finalement elles ont plusieurs traits de ressemblance. En tout cas, le ton est différent, les techniques sont différentes d’une histoire à l’autre. Ce qui m’intéresse surtout, c’est la recherche d’une beauté physique, et d’une beauté morale. Des associations entre les films peuvent se faire au moment du visionnage pour le spectateur, mais ce n’est pas quelque chose que je m’impose en amont, au moment de l’écriture et de la production.

Je veux qu’on se libère, je ne veux pas qu’on se laisse faire, je veux qu’on grandisse.

La répartition du travail d’animation entre trois équipes différentes aurait certainement compliqué cette approche. Comment s’est déroulé ce travail collaboratif, dans l’ensemble ?

Le premier segment se déroulant en Égypte a entièrement été réalisé par le studio McGuff à Bruxelles, et j’en suis très satisfait. Pour les deux autres contes, j’ai travaillé avec une équipe à distance, et une autre, basée en Lorraine, car c’est là-bas que nous avons pu trouver des financements. Avec la première équipe en télétravail, cela n’a pas bien fonctionné. C’était la période dure de l’épidémie de coronavirus. L’éloignement rendait les échanges difficiles, et même entre eux, avec le port du masque et d’autres problèmes techniques, ça n’a pas été évident. C’est finalement l’équipe en Lorraine qui s’est chargée du plus gros du travail, une équipe très jeune mais compétente, qui a été réunie dans un petit village perdu dans la forêt. C’était chaleureux.

Les contes de la nuit

Si on prend l’ensemble de votre carrière, on remarque que vos films ont des formats assez différents. Par exemple, Les Contes de la nuit ont d’abord été pensés comme des épisodes indépendants d’une série télévisée, avant d’être réunis dans un long-métrage cinéma en 2011. Comment la question du format se pose au moment de la création, est-ce que vous savez déjà que vous vous engagez pour un long-métrage, ou est-ce que c’est selon vos envies, selon les histoires qui se développent ou qui restent plus courtes ?

La série a été faite à l’époque car c’était le seul endroit où l’on pouvait vendre de l’animation : il y avait une demande de la télévision à l’époque par rapport au court-métrage qui n’avait que très peu de débouchées, que ce soit du point de vue commercial ou en termes de diffusion. J’ai donc imaginé cette série comme un système, qui peut être prolongé par d’autres que moi et durer éternellement. Chaque conte est résolu en fin d’épisode, il n’y a pas besoin de connexion. Plus l’historiette est différente des autres, mieux c’est. Mais pour vous répondre de manière générale, j’ai eu la chance d’avoir toujours fait ce que j’ai voulu, mais avec de grands passages à vides, que je mettais à profit pour écrire. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé lorsqu’un jour un producteur, Didier Brunner, m’a dit : « Arrête de perdre ton temps avec la télévision, écris-moi un long-métrage ». Celui-ci a été écrit en une semaine, car l’histoire – celle de Kirikou – je l’avais déjà en tête. Le travail d’écriture, à ce moment-là, s’est principalement focalisé sur la modification de la fin, qui a énormément amélioré le film.

Vous signez le scénario et le storyboard de tous vos films. C’est sans doute pour cela que l’on perçoit votre patte aussi nettement dans votre travail.

Mon rêve est de ne pas avoir de patte et de ne pas être reconnaissable, mais je n’y suis pas arrivé. Dans l’idéal, je voudrais qu’on oublie tout, qu’on ait que le conte et qu’on lâche les amarres. Mais il y a bien des éléments récurrents, que des commentateurs extérieurs me rapportent souvent, notamment le niveau de langue, ce qui m’étonne toujours beaucoup. Oui, je fais attention au langage, je ne réduis jamais mon vocabulaire lorsque je parle avec un enfant. C’est pareil pour mes films qui ne s’adressent pas spécifiquement aux enfants, bien qu’ils peuvent être présents dans la salle, alors je fais attention. Je ne donne d’ailleurs pas d’instruction particulière aux comédiens, on est ensemble et on parle bien, on articule chaque syllabe. J’estime qu’il est inadmissible de ne pas comprendre le spectacle que l’on vient voir.

Par ailleurs, je mets régulièrement en scène un garçon et une fille idéaux, qui sont beaux, d’une beauté toute bête qu’on comprend tout de suite. Alors, ils se ressemblent peut-être un peu de film en film, mais ils ont quelque chose de simple, de la beauté grecque.

Mon rêve est de ne pas avoir de patte et de ne pas être reconnaissable, mais je n’y suis pas arrivé. Dans l’idéal je voudrais qu’on oublie tout, qu’on ait que le conte et qu’on lâche les amarres.

Ils ont également une parenté avec les silhouettes gracieuses de Lotte Reiniger, qui a réalisé plusieurs films en théâtre d’ombres…

Lotte Reiniger était une pionnière dans l’animation, mais je ne cherche pas à faire la même chose qu’elle. La seule fois où j’avais vraiment en tête de « faire du Reiniger », c’était à l’occasion d’un atelier de création avec des enfants, à l’époque où j’avais facilement du temps entre deux projets. En l’espace de quelques jours, ils ont créé des choses exceptionnelles et j’ai eu à ce moment la révélation de faire de l’animation sans argent, de manière plus simple. Mais je me suis détaché progressivement de cette influence, et j’ai la prétention d’avoir fait une meilleure animation et de meilleures histoires. De plus, son long-métrage a été produit à l’époque du cinéma muet, tandis que j’œuvre dans le cinéma sonore, qui permet le dialogue, le bruit et la musique. La dimension auditive est aussi importante que la dimension visuelle, et cela donne une force supplémentaire à mes histoires.

Vous décrivez le conte comme un langage universel, qui vous est propre, et vous inventez vos histoires à partir des récits traditionnels du monde. Est-ce que vous participez également aux adaptations de vos films en livres ?

C’est bien moi qui écris ces ouvrages. Ce ne sont pas des produits dérivés, ce sont des livres faits avec soin, avec un travail d’adaptation particulier du texte et des images. Le scénario est bien évidemment réécrit, car il ne correspond pas à la narration classique d’un livre, mais je reprend également les photogrammes tirés du film. En effet, quand on arrête une image en mouvement, on se rend souvent compte qu’il y a des détails qui ne vont pas, alors je les reprends, je retouche les images pour qu’elles puissent « fonctionner » dans leur immobilité. C’est une constante dans mon approche : quand je fais quelque chose, j’essaye de le faire bien. Ainsi, si je parle d’un lieu ou d’une époque, je me renseigne et j’essaye d’être exact.

Plusieurs de vos longs-métrages ont également été déclinés en jeux vidéo, c’est notamment le cas de Kirikou qui a été porté sur PlayStation et PC par le studio Étranges Libellules, et d’Azur et Asmar, adapté sur PlayStation 2. Avez-vous participé, de près ou de loin, au développement de ces jeux ?

J’ai été consulté en début de production, et on m’a montré les premiers éléments des jeux, mais ça s’est arrêté là. Je suis d’une génération où l’informatique n’existait pas, je m’y suis mis et j’y suis aujourd’hui à l’aise pour travailler avec et créer. En revanche, le jeu vidéo m’intéresse assez peu. On a d’ailleurs rien fait avec Dilili à Paris, qui n’a pas connu un succès suffisant. Je suis content que l’animation existe partout, dans un médium cinématographique ou vidéoludique, mais le jeu vidéo reste quelque chose d’extérieur à ma formation.

Nous pouvons nous recentrer sur le cinéma pour notre ultime question : à quoi pouvons-nous nous attendre pour vos futurs projets ?

J’aimerais réaliser un autre spectacle composé de trois moyen-métrages, de la même façon que Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse. J’ai déjà écrit deux histoires et j’ai hâte de pouvoir les mettre en production. À plus long terme, j’ai également l’envie de lancer une série de court-métrages qui raconterait l’Europe par le conte de fées. Le sujet est vaste mais l’intérêt est de trouver de bons auteurs, issus de pays différents, et de leur demander de célébrer leur culture ou celle de leurs ancêtres. J’aimerais dire à chaque collaborateur « Allez-y, faites moi un chef-d’œuvre » et d’y trouver des sentiments, des surprises.


Propos recueillis et édités par Emilien Peillon pour Le Bleu du Miroir

Crédits photos : © Jean-Luc Mege (libre de droits)



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