TRAINS photo 10 И Malavida

JIRI MENZEL : LA COMÉDIE EST UNE ARME

Critique des trois films

A partir du 23 février, Malavida nous offre la rétrospective Jiri Menzel : la comédie est une arme, à savoir trois films du metteur-en-scène adaptés du même auteur Bohumil Hrabal, trois comédies où la tendresse pour les personnages le dispute à l’humour noir, tout cela bercé par une très grande sensualité et un hédonisme revigorants.

Jiri Menzel appartient à la Nouvelle Vague tchèque – comme Vera Chytilova, Ivan Passer ou Milos Forman. Il se destinait au départ au théâtre ; ancien élève de la FAMU – l’Académie du Film de Prague – et après avoir réalisé cinq courts-métrages, Jiri Menzel tourne en 1966 Trains étroitement surveillés, premier long-métrage, et première de ses adaptations de Bohumir Hrabal – il en réalisera cinq – et déjà une réussite totale : une comédie éblouissante par son ton décalé, sa drôlerie et la tendresse que le réalisateur porte à ses personnages, même si elle n’est pas dénuée d’une féroce lucidité et d’un goût pour le ridicule.

Trains étroitement surveillés

Dans ce premier film, qui remporta l’Oscar du meilleur film étranger en 1968, nous découvrons les affres amoureuses de Milos, qui travaille dans une petite gare de Tchécoslovaquie durant l’occupation allemande. Un travail et une ville qui distillent ennui, désœuvrement et frustration sexuelle pour certains. Très préoccupé par sa virilité après un incident qui a fait échouer son dépucelage avec une jeune contrôleuse qui pourtant l’attire beaucoup, Milos cherche des conseils chez Hubicka, son supérieur très porté sur le sexe, car il aimerait avoir son assurance auprès des femmes. Quant au chef de gare, qui prétend exécrer la licence dont fait preuve Hubicka, il semble que c’est surtout la jalousie et la frustration qui le font sortir de ses gonds. A travers ce personnage, toute l’hypocrisie et la bien-pensance se trouvent fustigées de façon assez cinglante. Avec ses allusions érotiques nombreuses, son évocation de la résistance à l’oppresseur – ici les nazis – son humour et son refus du pathos, Trains étroitement surveillés constitue une magnifique réussite et annonce déjà les atouts et les thèmes d’un réalisateur épris de liberté qui nous invite à profiter des plaisirs de la vie.

Alouettes, le fil à la patte, réalisé en 1969 mais interdit jusqu’en 1990, année durant laquelle il sera couronné de l’Ours d’Or à Berlin, se situe au début des années 1950. Des femmes qui ont cherché à quitter la Tchécoslovaquie sont détenues, non loin d’hommes, prisonniers politiques, condamnés à cause de leurs anciens métiers ou de leurs idées, trop bourgeois, trop réactionnaires par rapport à l’idéologie communiste. Tout ce petit monde travaille dans une décharge de ferraille. Cette cohabitation, à priori avec une certaine distance et beaucoup de contraintes, éveille des curiosités, des attirances et peut-être des rapprochements…

Alouettes, le fil à la patte

Un esprit de liberté et de rébellion flotte sur ce film, tout comme dans les deux autres de cette rétrospective et se traduit par un grand appétit de vie, une grande sensualité. On y trouve de superbes scènes comme celle où trois prisonnières se proposent à aider les hommes pour faire la chaîne. Une fois les gants ôtés, les mains s’effleurent, on flirt et on tente même d’aller plus loin. Et quand les femmes vont se coucher, elles sont épiées par les hommes qui vivent dans le campement d’en face ; elles le savent et s’en réjouissent. Ce goût du sexe totalement assumé apporte en plus du plaisir physique une part de subversivité : on se joue du pouvoir en place et de sa pudibonderie.

Troisième film de cette rétrospective et septième long-métrage de Jiri Menzel, Une blonde émoustillante – d’après La Chevelure sacrifiée – date de 1980. Le film se déroule durant les années 1920 et distille une nostalgie d’une époque révolue, même si les membres du conseil d‘administration qui mènent la vie dure à Francin, gérant d’une brasserie, évoquent un régime dictatorial et à l’hypocrisie bien ancrée. On reproche au gérant d’avoir fait tuer un cochon alors qu’il fait chaud, mais on est trop heureux de pouvoir s’empiffrer à l’invitation de sa femme. Celle-ci a tout compris du double visage de ces hommes et sait comment les amadouer, voire les soudoyer. Elle a semble-t-il l’habitude de sauver la mise à son époux. On trouve dans Une Blonde émoustillante un éloge des plaisirs de la bonne chère et de la chair. Et là aussi une critique féroce du totalitarisme, du pouvoir en place, quelle que soit sa forme. La dictature de l’homme vis-à-vis de son épouse n’est pas épargnée, Francin étant presque soulagé de voir sa femme alitée et donc moins autonome. Le film bénéficie d’une photographie magnifique.

Une Blonde émoustillante

Dans les trois films, les femmes apparaissent comme de bonnes vivantes décomplexées, qui vivent leur sexualité sainement. Les hommes apparaissent moins aptes à accepter leurs pulsions ou à les assumer, à cause du regard de l’autre, ou de celui du régime ? Jiri Menzel décrit tout cet univers avec beaucoup d’ironie et de tendresse pour les personnages. Cette critique du régime en place est mise en lumière avec tout le ridicule que cela peut impliquer. Jamais cette description du communisme ne sombre dans l’horreur, le désespoir. Des romans de Bohumir Hrabal, Jiri Menzel ne souhaitait garder que les moments le plus réjouissants, car il voulait « faire des films qui donnent de la force pour vivre ». Très réussis, ce sont à la fois poésie et drôlerie qui traversent ces films intemporels ; véhiculant de l’espoir, même quand tout ne se termine pas comme prévu, ils témoignent d’un appétit de vivre inébranlable et d’un humour dévastateur.

Ces trois films seront à nouveau dans les salles à compter du 23 février, distribués par Malavida, dans des restaurations qui rendent parfaitement justice aux qualités esthétiques de ces joyaux du cinéma tchèque.

Bande-annonce

23 février 2022




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