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Emilie Dequenne | Entretien

À l’occasion du Champs Elysées Film Festival, qui se déroule du 10 au 16 Juin, nous avons rencontré la comédienne belge Emilie Dequenne, co-présidente de cette édition 2015. Nous en avons profité pour évoquer son regard sur le cinéma indépendant américain, sur la place de la femme au cinéma, mais aussi pour revenir sur quelques rôles phares de sa carrière, tout en faisant quelques parenthèses télévisuelles… 

LBDM.fr : Comment abordez-vous votre rôle de co-présidente du festival et quel est votre regard sur le cinéma indépendant américain ?

Emilie Dequenne : Mon rapport à ma fonction de co-présidente est plutôt limité. Autant vous dire la vérité : lorsqu’on m’a proposé ce poste, j’ai voulu décliner car j’ai un tournage qui débute dès la semaine prochaine. Quitte à participer, j’avais envie de découvrir les films en compétition. J’ai expliqué mes inquiétudes aux organisateurs et l’on m’a expliqué que j’aurais plutôt un rôle d’ambassadrice, pour présenter les films, faire l’ouverture et la clôture et remettre quelques prix. Ce qui est particulier avec ce festival est que c’est le public qui vote, donc je n’avais pas cette responsabilité. Puis, ils ont conclu avec un argument de poids : « Ton co-président sera Jeremy Irons ». Comment ne pas accepter ?

C’est un véritable honneur et ce festival est vraiment bon enfant. Notre responsabilité n’est pas immense. Je le vis vraiment comme une situation privilégiée. En me renseignant sur le festival, j’ai découvert cette mise en avant du cinéma américain. Je me suis alors interrogée : en France, sommes-nous capables de différencier le « cinéma américain » du cinéma indépendant américain ? En France, on peut facilement identifier le cinéma d’auteur français. Les américains ont des cinéastes qui sont capables de réaliser des films pointus, avec des sujets forts et des histoires émouvantes, tout en produisant un cinéma populaire. Il y a chez eux une sorte de facilité, d’aisance dans la narration, avec l’appui d’acteurs formidables. De plus, aux Etats-Unis, il n’y a pas cette barrière entre les comédiens venus de la télévision et ceux du cinéma.

D’ailleurs, en sélection, il y a un film, que j’ai très envie de voir, avec Robert Sheehan (acteur connu pour son rôle dans la série Misfits – ndlr) qui s’appelle The Road Within. Il y a un vivier d’auteurs, quelque chose de fort qui manque parfois au cinéma français. Je ne pense pas que cela vienne de qualité des metteurs en scène que nous avons en France. Je crois juste que les américains posent moins de barrières, qu’on ne perçoit pas toujours la différence entre les blockbusters et les gros films indépendants américains. Moins on catégorisera le cinéma, plus on aura de la chance de le faire avancer. Et le fait d’organiser ce festival sur les Champs Elysées, avec l’idée que la France est tout de même un pays de cinéma, trouve pour moi tout son sens. J’espère que ce festival va prendre encore plus d’ampleur. Car il n’y a pas que le cinéma indépendant américain, il y a aussi des rétrospectives, c’est l’occasion de voir ou revoir des films d’autres générations dans une grande salle. C’est d’ailleurs très frustrant pour moi de ne pas pouvoir pleinement en profiter car rien ne vaut l’expérience en salle. 

Je suis plutôt un « anti-féminisme » dans la mesure où plus on revendique, plus on se démarque, plus on créé une sorte de différence.

Une sélection vous est même consacrée, avec trois de vos films phares mais aussi deux films que vous aimez beaucoup : Requiem for a dream de Darren Aronofsky et La cérémonie de Claude Chabrol… Pourquoi avoir choisi ces deux films ? 

E. D. : J’ai proposé plusieurs films. J’avais notamment choisi Midnight Express mais il était de toute façon programmé indépendamment de moi (pour l’hommage à Alan Parker – ndlr). Requiem for a dream est un film que j’ai eu la chance de découvrir au cinéma et c’est un film qui doit véritablement être vu au cinéma ! Depuis, je l’ai beaucoup revu… C’est un film vraiment entêtant. J’aime les films qui bousculent, j’ai besoin de prendre des claques au cinéma. Ce film-là d’Aronofsky me rappelle particulièrement l’univers de Stanley Kubrick. Je trouve ce film sublime, avec une cohérence absolue dans son travail et cette musique de Clint Mansell, parfois même minimaliste. Je trouve ce film très sincère, les acteurs sont excellents et je ne me lasse pas de le revoir.

Quant à Claude Chabrol, c’est un monsieur que j’admire beaucoup. C’est un de mes plus grands regrets, j’aurais tellement aimé tourner avec lui. Cela s’est joué à pas grand chose. Je tournais le film de Téchiné (La fille du RER – ndlr) et il ne m’a pas laissé quelques jours pour tourner les scènes que je devais jouer pour Chabrol. Il avait sûrement peur que je m’éparpille… Et puis il y a Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire, deux comédiennes que j’admire énormément. 

Nous en avons parlé, cette année il y a une co-présidence mixte, la parité est donc respectée. J’aimerais en profiter pour vous questionner sur la place des femmes au cinéma et celle du féminisme…

E. D. : Pour ce qui est du féminisme… (Elle s’interrompt). Je ne souhaite surtout pas dénigrer le féminisme car il a été nécessaire pour faire évoluer les choses. Ceci dit, je suis plutôt une « anti-féminisme » dans la mesure où plus on revendique, plus on se démarque et plus on créé une sorte de différence. Moins on soulignera le manque de femmes, plus leur présence sera devenue normale. Je ne suis pas contre le féminisme et il a beaucoup apporté. En moins d’un siècle, la place de la femme a énormément évolué.

D’ailleurs Mad Men l’illustre très bien. Au début de la série, les femmes sont presque des animaux de compagnie. Elle n’avait pas le droit de posséder un compte bancaire, ni même la possibilité de voter. Heureusement, il y a eu une levée de boucliers et des personnes impliquées capables de monter au créneau, car c’était plus que nécessaire.

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Selon moi, à l’heure d’aujourd’hui, il faut être très reconnaissants pour tout ça. Mais peut-être faut-il arrêter de mettre systématiquement le doigt sur ce qui fait mal. Il faut être patient, cela viendra. Cela ne fait pas si longtemps que la position de la femme dans la société a vraiment évolué.

Une grande différence subsiste dans les salaires entre les hommes et les femmes. On est encore à la traîne là-dessus et cette différence est très marquée dans le cinéma.

Dans le cinéma, je dois toutefois reconnaître que les beaux rôles de femmes sont moins fréquents, c’est vrai. Il serait pourtant tout aussi facile de raconter des histoires avec des héros féminins plutôt que masculins. J’espère que cela viendra de plus en plus. En ce qui me concerne, jusqu’à présent, je n’ai pas trop à me plaindre. J’ai eu à incarner de très beaux personnages. Au risque de ne pas tourner pendant de longues périodes car je n’avais pas envie de jouer une « femme de… ». Tant pis, je préfère avoir un rôle fort et attendre. En plus, un rôle fort nécessite aussi une période de repos avant d’enchaîner, donc au final cela tombe bien.

Qu’en est-il de la visibilité accordée aux femmes réalisatrices ?

E. D. : Pour ce qui est des réalisatrices… (Elle réfléchit) Lorsque l’on a parlé de Jane Campion, l’an passé, comme présidente du jury à Cannes, on en a beaucoup fait et cela m’a agacé. Cela m’a énervé qu’on souligne que c’était une femme choisie pour présider. Car Jane Campion, c’est surtout une « putain de réalisatrice » ! C’est bien normal qu’elle soit désignée comme présidente de jury à Cannes.

En revanche, ce qui me révolte c’est la grande différence qui subsiste dans les salaires entre les hommes et les femmes. On est encore à la traîne là-dessus et cette différence est très marquée dans le cinéma.

Patricia Arquette en a d’ailleurs parlé dans son discours aux Oscars… 

E. D. : Et elle a bien fait ! J’adore cette nana… Elle est formidable. 

Avez-vous vu Boyhood d’ailleurs ?

E. D. : Non… Pas encore ! Je sais qu’il faut que je le vois… J’ai vraiment envie de prendre un moment pour le voir, comme un petit privilège… Et puis, cette idée de la voir évoluer sur douze ans… Ce doit être fort. Vous savez, je regarde même des séries bidons parce qu’elle joue dedans… (Elle rit). Elle a joué dans une sorte de dérivé des Experts. Ce n’est pas terrible, mais je le regarde que pour elle. Cette femme dégage quelque chose de fort, une sorte de bonté qui me touche… 

Nous avons évoqué vos rôles féminins… Dans la vraie vie, vous sentez-vous plus proche de Rosetta, Marianne, Murielle ou Jennifer

E. D. : Plutôt Jennifer… J’aime bien chanter, même si je ne suis pas aussi douée que ma fille… Mais j’aime les karaokés, chanter avec les copines. C’est bien mon genre… (Elle rit).  

Pour finir, pensez-vous que les trois films choisis dans la sélection (Rosetta, À perdre la raison et Pas son genre) représentent bien votre carrière et l’attention que vous accorder lors du choix de vos rôles ?   

E. D. : Oui. Bien sûr, on aurait pu intercaler Une femme de ménage ou La fille du RER. Même si je peux comprendre que ce ne soit pas des rôles aussi forts, mais ce sont des personnages différents. Ceci dit, le choix qu’ils ont fait est assez juste. De plus, ce sont trois films belges ! 

J’ai toujours aimé aller d’un univers à l’autre, essayer de faire vivre des personnages forts, être plutôt que de jouer. Je suis très fière de ces trois films. Il y a en plein d’autres que j’aime beaucoup mais ce serait plus pour l’expérience que j’ai vécu avec les metteurs en scène… Après, certains films n’ont pas toujours la carrière qu’ils auraient pu avoir. C’est assez aléatoire.

D’ailleurs, je découvre demain un film que j’ai tourné récemment à Marseille, avec Hafsia Herzi. Le film s’appelle Par accident, de Camille Fontaine, et il sortira sûrement en 2016. C’est un premier long-métrage. Je suis très curieuse car c’est un personnage qui se révèle assez rigolo… 

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Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir, le 11 Juin à Paris.

Remerciements : Emilie Dequenne, Vanessa Jerom et Claire Vorger, Emmanuelle Sal, Fabien Randanne




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8 années il y a

[…] : « féministe, moi ? Ah surtout pas, ah ah, faut pas déconner ». Mais dans une entrevue récente, Emilie Dequenne va plus loin : elle explique qu’elle est […]

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