featured_sunchaser-film

THE SUNCHASER

Michael Reynolds est un oncologue réputé possédant une voiture à 175 000 $ et une maison valant plusieurs millions. Brandon « Blue » Monroe, un patient en phase terminale le kidnappe. Ensemble, ils se dirigent vers un lieu de guérison navajo tandis que la police est à leurs trousses.

RÉCIT DE LA RÉCONCILIATION

Si The Sunchaser n’a pas atteint, avec la postérité, une reconnaissance particulière, il est le film testamentaire de Michael Cimino, cinéaste maudit par excellence, enchevêtrant les chefs d’œuvres avec des échecs commerciaux cataclysmiques. Difficile de passer après Voyage au bout de l’enfer ou La Porte du Paradis, mais Sunchaser endosse la lourde tâche de conclure le travail de l’un, si ce n’est le réalisateur qui a le plus démystifié l’Amérique et ses prétendus rêves.

Sunchaser s’articule autour d’une confrontation chaotique. Celle, à Los Angles, entre Michael Reynolds et Blue Monroe, entre la bourgeoisie et la jeune délinquance. La deuxième est frontalement violente tandis que la première l’est tout autant, mais plus de manière pernicieuse, plus symbolique. Ce sont deux visions du monde, deux manières de vivre qui sont contraintes de cohabiter et paraissent irréconciliables. Pour l’un, la violence des ghettos est une abomination, pour l’autre c’est la normalité d’un quotidien. Le cauchemar de l’un est la réalité de l’autre. L’enjeu communicationnel est au cœur de Sunchaser. Comment un riche oncologue, trentenaire, bientôt chef de service et un jeune métisse Natif-Américain de 16 ans condamné à mort par la maladie pourraient se comprendre ?

Cette confrontation s’exprime au sein du récit américain par excellence : le road-trip. Sur la route d’une montagne sacrée, dans une Porsche, puis un tacot, puis une Cadillac, c’est deux Amériques qui s’affrontent. Le conflit se déroule sur le plan générationnel bien-sûr, mais pas seulement. Le plan linguistique d’abord. L’argot et le langage ordurier de Blue est vilipendé par Michael à plusieurs reprises, dans une posture sans cesse en retenue et méprisante. Par la force des choses, le docteur finit par éclore, s’énerver, insulter, et se comporter comme le jeune truand.

L’autre plan de confrontation entre Michael et Blue est le plan culturel. La radio en voiture devient un enjeu de domination de l’un sur l’autre, pour savoir si l’on écoutera plutôt du rap ou du rock. Une confrontation qui prend fin dans ce qui ressemble à une impasse mexicaine verbale entre Michael, le docteur Renata Baumbauer, qui les accompagne un temps, et Blue. Là où les deux docteurs se confrontent à coup de citations qui opposent science et spiritualité, Blue met fin au débat avec une citation de Tupac, toute aussi pertinente que les deux autres. Tout est, en premier lieu, sujet à confrontation dans Sunchaser, mais à chaque fois, après le chaos vient la paix.

L’ultime film de Michael Cimino est autant le constat d’une Amérique fracturée dans son essence, qu’une invitation à la réconciliation. C’est celle, notamment, entre les citadins et les paysages des Etats-Unis. Un retour aux sources qui s’incarne par la redécouverte de la beauté du territoire des Navajos, de rencontrer ses habitants, de confronter ses préjugés à la réalité. Une harmonie que Cimino montre, par exemple, le temps d’une très belle scène, lorsque les deux compagnons d’infortune se joignent aux Navajos, quand voiture et chevaux suivent le même chemin au cœur de Monument Valley. La confrontation se joue également entre Michael et son mode de vie, sa course au succès, à la plus belle maison, à la meilleure carrière. Le temps passé à côté de Blue le sort de son apathie autocentrée, de son regard sur les autres jusqu’alors méprisant et terrifié. Michael incarne cette Amérique riche, blanche, bourgeoise – comme le rappelle souvent Blue – qui juge, mais qui plus que tout, a peur de l’Autre, ou pire, que l’ouverture aux autres ne vienne briser ses succès. Parallèlement, le temps passé avec Michael extrait petit à petit Blue de sa haine pour ce que Michael, mais surtout sa classe, représente.

Mais où se situe cet interstice, qui permet à des individus si loin de l’autre, de se comprendre ? Pour Cimino, comme le cinéaste le témoigne dans Sunchaser, dans la capacité des humains à s’émouvoir, et a fortiori à surmonter des douleurs. Celle d’un grand frère qui meurt à l’hôpital, qui nous supplie de mettre fin à ses souffrances ; celle d’un jeune frappé par son beau-père, engendrant les funestes représailles d’un enfant. C’est ce lien indéfectible, celui de l’émotion, du partage d’une peine, qui peut faire sauter toutes les barrières entre deux individus, et les réconcilier.

The sunchaser

Ce sont bien les spectres de la division qu’affrontent, avec leur voyage, Michael et Blue. Des spectres qui hantent les Etats-Unis, auxquels s’est régulièrement confronté Michael Cimino dans son œuvre, démontant les cruels épouvantails du pays, trop longtemps exposés pour couvrir ses démons. Sunchaser s’attaque donc à cette division, ou plutôt à cette ségrégation, au cœur malgré-elle de la philosophe américaine. Celle d’abord entre les Colons et les Natifs-Américains, puis celle à l’encontre des Afro-Américains, jusqu’à celle qui se joue aujourd’hui dans la ghettoïsation de quartiers entiers. L’épouvantail brandit dans Sunchaser est celui de l’individualisme, un repli sur soi au cœur du rêve américain, une entrave à la relation avec l’autre. Si c’est le plus évident, il n’est pourtant pas le seul.

L’autre démon, plus timide mais omniprésent dans le film, est celui de la virilité obsessionnelle, et par vase communiquant de l’homophobie. La quasi-totalité des hommes rencontrés dans le film, à commencer par Blue, insultent de « faggot », ou sont prompt à montrer leurs puissances, à jouer les durs. Un trait qui, malheureusement assez souvent dans le cinéma de Cimino, est pris pour de la complaisance. Il n’y a qu’à voir ceux qui, par exemple, ont vu dans la fin de Voyage au bout de l’enfer une exaltation du militarisme américain, sans en percevoir la douloureuse ironie. Dans le même ordre d’idée, les personnages ultra-virilistes, voire carrément homophobes de Sunchaser sont moins un constat qu’un diagnostic d’une obsession des hommes pour leur sacro-sainte virilité, fustigeant tout ce qui s’en éloigne. D’autant qu’accuser Cimino de complaisance serait bien inapproprié, lui qui avec Le Canardeur couvait sous son goût du western et des grands espaces, un buddy-movie où camaraderie masculine et relations amoureuses se confondent.

Pour autant, il est impossible d’affirmer que Sunchaser est exempt de défauts. La forme de son récit n’arrive pas à égaler son fond, et le film y trouve ses principaux écueils. Il ressort de l’histoire de ce médecin accompagnant un jeune vers sa mort inéluctable une certaine mièvrerie, également incarnée par certains moments musicaux – justement désincarnés – composés par Maurice Jarre. D’autant que les images d’insert, qui servent à accentuer la dimension symbolique, sont particulièrement malhabiles. En revanche, dernier plan de grand cinéaste oblige, mais spoilers tout de même, il faut se pencher sur la manière dont se conclut Sunchaser. L’ultime plan du film parait tristement en écho avec la fin de carrière de Cimino.

Dans l’ultime scène du film, après que les deux héros aient enfin trouvé la fameuse montagne sacrée, ainsi que « l’homme-médecine », l’état de Blue se dégradant, sa mort inéluctable devient tangible. Michael et Blue font leurs adieux, et tandis que l’un descend de la montagne pour retourner, bouleversé, à sa vie d’avant, Blue trouve enfin le lac salvateur tant convoité. Il y court, dans un plan large faisant la part belle au paysage, avant de s’évaporer brusquement, alors que l’on observe les remous de sa disparition dans l’eau du lac. Le jeune homme s’offre une fin poétique digne, seul et reclus certes, mais résigné et finalement heureux. La fin d’un personnage, la fin d’un film, mais surtout la fin d’un cinéaste, sensible aux ténèbres de son pays, reclus hors du système Hollywoodien depuis des années, qui souhaite plus que tout une conclusion lumineuse.


Disponible actuellement sur MUBI


CHAQUE JOUR, DANS LES SÉANCES BUISSONNIÈRES, UN MEMBRE DE L’ÉQUIPE VOUS RECOMMANDE UN FILM (OU UNE SÉRIE) DISPONIBLE ACTUELLEMENT EN STREAMING LÉGAL, REPLAY OU EN VIDÉO.




%d blogueurs aiment cette page :