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THE NIGHTINGALE

Tasmanie, 1825. Clare, une jeune irlandaise, poursuit un officier britannique à travers la Tasmanie pour se venger d’actes de violence qu’il a commis contre elle et sa famille, avec pour seul guide un aborigène.

Critique du film

Voilà deux ans que l’on attendait le retour de Jennifer Kent sur les écrans français. En 2018, elle est la seule femme en compétition et présente The Nightingale, qui décroche à la suite d’une séance particulièrement houleuse le Prix Spécial du jury. Silence radio depuis, le film trouve enfin une porte de sortie en France, d’abord sur OCS puis plus tard en DVD grâce à Condor films, et écope – à raison – d’une interdiction au moins de seize ans. 

Jennifer Kent propulse son rape and revenge au cœur de la forêt tasmanienne du XIXème siècle. La violence propre à ce genre de récit, souvent à la frontière de la misogynie, transcende l’intimité de la vendetta pour embrasser une certaine universalité. The Nightingale n’épargne aucune cruauté : viols répétés, infanticide et meurtres sont montrés avec une âpreté difficilement soutenable. Pourtant la brutalité n’est jamais gratuite, et résulte d’une violence plus insidieuse. 

A la violence de la guerre en arrière plan et de la misère, il y a aussi la misogynie. Celle-ci s’opère dès ses premiers instants dans la déshumanisation totale du personnage de Clare : le male-gaze déshabille la jeune femme à travers des regards lubriques, auxquels s’ajoutent les insultes permanentes. L’absence de musique, mêlé à l’austérité de la mise en scène, amplifie la sensation de malaise, d’insécurité même. Le cadre serré prive son personnage de perspective, rendant la fuite impossible, autant pour elle que pour soi, spectateur. 

The nightingale

History of violence

Ce qui rend la première demi-heure aussi éprouvante, c’est sans doute la fatalité des rapports de domination. Il semble n’y avoir aucun échappatoire : enfermée entre quatre murs, Clare est dépossédée de son indépendance, puis de son mari, puis de son enfant, puis de son corps. L’officier Hawkins, par son grade mais aussi par son statut d’homme blanc (le film est explicite à ce sujet) prend un plaisir non-dissimulé à l’humiliation.

Et comme tout rape and revenge, il y a le viol. La brutalité est mécanique, plutôt qu’érotique, et prive le spectateur du confort exclusif du voyeur. Le regard de Clare brise le quatrième mur et fixe celui du spectateur, l’empêchant de fuir. Ce female gaze littéral, parce qu’il se concentre sur la douleur inouïe de Clare, incarne tant de choses à la fois : il implore, accuse même le spectateur, placé au rang de voyeur comme les tortionnaires de la pièce. Mais il le transforme aussi en témoin impuissant, assistant sans pouvoir détourner le regard de la scène, décuplant autant la pitié que la culpabilité.

La vengeance personnelle endosse une nouvelle dimension lorsque Clare croise la route de Billy, qui subit les violences racistes, avec des mécaniques de déshumanisation similaire. C’est un autre film qui se dessine en filigrane, plus apaisé. La soif de punition se transforme peu à peu en un désir de résilience, faisant rejaillir une profonde humanité au cœur de l’adversité. La justice prend alors une autre forme, et vient panser les traumatismes. 

Ce n’est plus une vengeance intime, mais bien une révolte contre l’oppression féminine et coloniale qui se pare d’une beauté singulière. La catharsis ne s’opère pas dans le châtiment mais dans une sérénité retrouvée. En témoigne ce dernier regard, tourné vers l’horizon, symbolisant l’espoir d’un renouveau. Et cette reconstruction s’accompagne aussi, parce que le regard croise celui du spectateur, par sa remise en question : quelle est notre part de responsabilité à la violence du monde ? 

Jennifer Kent signe un impressionnant long-métrage particulièrement éprouvant, traversé par un éclat crépusculaire, tout en clair-obscur. Avec The Nightingale, elle s’impose comme une voix ambitieuse et essentielle au cinéma de genre.

Bande-annonce

En DVD le 15 avril – De Jennifer Kent, avec Aisling Franciosi et Sam Claflin


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