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SEULE LA JOIE

Sascha travaille dans une maison close à Berlin depuis de nombreuses années. Maria, une nouvelle arrivante, est indépendante, non-conformiste et queer. Sascha est immédiatement attirée par cette altérité, Maria à son tour est fascinée par l’aisance suprême de Sascha. Cette attirance devient un amour qui fonctionne différemment de tout ce qu’elles ont pu connaître auparavant. Mais la peur de se dévoiler l’une à l’autre va remettre en question leur relation.

Critique du film

Pas évident de traiter de la prostitution et du travail du sexe au cinéma : entre représentation caricaturale et moralisation, difficile de trouver le juste ton et de porter à l’écran une vision respectueuse de ce milieu. C’est le pari que se propose la cinéaste Henrika Kull avec son second long-métrage, qui s’intéresse pour l’occasion à une maison close en Allemagne, où la prostitution est légale. Dans Seule la joie, point de sensationnalisme : vendre son corps est un métier comme un autre, avec ses hauts, ses bas, ses horaires de boulot et son train-train quotidien. En choisissant de désérotiser un métier bien souvent trop réduit à son aspect lascif et en filmant surtout les dessous de l’acte sexuel -la complicité entre les travailleuses, la salle commune où elles se préparent du café, la bienveillance de la maquerelle- la réalisatrice réussit à mettre l’accent sur le côté professionnel de la prostitution, sans voyeurisme ni glamourisation.

La maison close devient ainsi une toile de fond vite oubliée, sur laquelle Kull déploie son vrai sujet : la relation amoureuse entre deux femmes qui y travaillent. Dans son précédent long-métrage, la réalisatrice s’intéressait aux liens affectifs compliqués entre une mère célibataire et un homme incarcéré ; dans Seule la joie, elle continue d’explorer les hauts et les bas des relations amoureuses et les difficultés à s’aimer sereinement. Maria, la petite vingtaine, est indépendante et sait ce qu’elle veut ; Sascha, mère célibataire de quarante ans, torturée, se débat avec ses démons intérieurs. Leur amour transforme le rude et triste hiver berlinois en un été gorgé de soleil et réchauffe les couleurs des images ; mais la réalité les rattrape et rapidement, le désir cède la place à l’autodestruction et à l’incompréhension.

Seule la joie
Au milieu de la tempête, Henrika Kull filme les corps avec bienveillance et humanité, loin du regard pornographique généralement posé sur les couples lesbiens par les réalisateurs masculins (Kéchiche et Verhoeven, pour ne citer qu’eux). La sexualité, sans y être édulcorée, est autant un rapport au monde et aux autres qu’à soi. Tandis que Maria, ouvertement queer et couverte de tatouages, fait de son corps un moyen d’expression artistique (“je suis une performeuse” résume-t-elle lorsqu’elle parle de son métier), Sascha entretient un rapport plus complexe avec le sien et oscille entre colère, émancipation et nihilisme.

Désir d’exister, désir d’être vue, désir d’être acceptée ; loin de ne traiter que d’érotisme, Seule la joie parle avant tout de notre capacité à nous laisser aimer et à accueillir le bonheur dans notre vie. En arrière plan, sur le dancefloor, le vieux tube d’Alice Deejay interroge les personnages et le spectateur : au fond, ne sommes-nous pas mieux tout.e seul.e ? Si le film esquisse quelques pistes pour mieux cerner les héroïnes et leurs tourments -le deuil, le poids des préjugés, il réussit à éviter de tomber dans la psychologisation à outrance de ses personnages et de leurs choix. La question n’est pas de savoir pourquoi Maria et Sascha ont choisi cette voie, ni de décider si elles ont raison ou tort, mais simplement de les regarder exister et tenter, comme chacun.e d’entre nous, de se connecter aux autres. En montrant sans chercher ni à juger, ni à expliquer, Henrika Kull se révèle une cinéaste d’une modernité rare et la juste voix d’une communauté à qui l’on rend trop peu souvent justice à l’écran : celle des lesbiennes, des personnes queer et, plus vastement, des femmes libres, qui s’auto-déterminent et inventent leurs propres règles, loin des normes et des carcans patriarcaux.

Bande-annonce

2 novembre 2022 – De Henrika Kull, avec Katharina Behrens, Jean-Luc Bubert et Maria Mägdefrau.




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