featured_Petite-nature

PETITE NATURE

Johnny a dix ans. Mais à son âge, il ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes. Dans sa cité HLM en Lorraine, il observe avec curiosité la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. Cette année, il intègre la classe de Monsieur Adamski, un jeune titulaire qui croit en lui et avec lequel il pousse la porte d’un nouveau monde.

Critique du film

Du trio vainqueur de la caméra d’or pour Party girl en 2014 à Cannes, Samuel Théis est le deuxième à réaliser seul un deuxième long-métrage, après Claire Burger en 2018 avec C’est ça l’amour. Petite nature reprend le même cadre, Forbach, la frontière allemande, et un territoire français assez défavorisé socialement. Si Party Girl, projet commun, voyait une sexagénaire comme intérêt principal de la caméra, Petite Nature tout au contraire s’attarde à chaque instant à souligner le parcours d’un petit garçon de dix ans, Johnny. L’introduction du film est forte, et en quelques minutes apprend au spectateur les informations majeures qu’il va falloir retenir. Cette famille déménage dans la hâte, la mère des trois enfants se séparant de l’homme chez qui ils vivent. Les émotions sont nombreuses, de la peine au ressentiment, et tout de suite l’attachement de Johnny à cet homme qui semble blessé est criante.

Il n’aide pas sa mère et son frère aîné, il enlace une dernière fois celui qui n’est pas son père, mais qui fut la seule figure masculine de ces derniers mois. Ce moment intense révèle les failles dans lesquelles le récit va ensuite s’engouffrer, délivrant une clef de compréhension pour les intrigues à venir. À un âge où l’identité est encore balbutiante, Johnny se nourrit de tous les codes et informations qu’on veut bien lui transmettre. Assistant à une scène d’amour de sa mère avec un inconnu dans une voiture, il conceptualise ce qui semble être ce sentiment. Ce qui se noue pour lui en quelques scènes, c’est sa place dans le monde, comme si cette année de CM2 était un moment charnière où, déjà, si jeune, il allait devoir décider de la suite de son histoire, et devoir grandir très vite.

Différence et liberté

La relation qu’il entretient avec son nouvel instituteur pourrait être perçue comme trouble : celui-ci l’accepte chez lui après une bagarre familiale, il sort avec lui et sa compagne dans une soirée au musée. L’enfant reproduit des schémas qu’il croit avoir compris sur ce qu’est une relation amoureuse, et l’adulte semble ne pas s’en rendre compte, arguant d’un besoin d’affect avec ses élèves. À ce moment précis, où intervient une scène quelque peu choquante, l’histoire aurait pu basculer dans le sordide et se perdre dans des considérations beaucoup trop complexes. Mais Samuel Théis ne perd jamais de vue que le point de vue est porté par un enfant qui ne maîtrise pas encore les codes du monde dans lequel il vit, bien que de plus en plus conscient de ses différences.

La réussite de Petite nature est de mettre en valeur le paradoxe entre des situations où Johnny doit assumer des rôles bien trop grands pour son jeune âge, comme s’occuper à plein temps de sa petite sœur, mais aussi de son inexpérience dans presque tous les domaines qui le ramène à sa condition d’enfant. Plutôt que de s’attarder sur le rejet vis-à-vis de l’instituteur, l’histoire et la mise en scène développe le besoin de changement de cadre du personnage principal. Il énonce de lui-même son besoin de quitter son foyer pour enfin exister à part entière, par le biais d’un internat au collège, et devenir la personne qu’il souhaite. En cherchant un père, Johnny a fini par se trouver lui, ou du moins le chemin qui pourra le mener à son futur, débarrassé d’un climat toxique et d’injonctions à devenir un homme, un vrai.

Samuel Theis réussit finement à s’extraire d’une histoire qui aurait pu être un bourbier, pour raconter la volonté d’émancipation d’un jeune garçon désireux d’explorer d’autres voies que celles qu’on a tracé pour lui à l’avance. C’est l’histoire d’une différence et d’une liberté.

Bande-annonce

9 mars 2022 – De Samuel Theis, avec Aliocha ReinertAntoine ReinartzIzïa Higelin


Semaine de la CritiqueCannes 2021




%d blogueurs aiment cette page :